Bienvenue dans ma maison d'édition (Année 1)

En France, Charenton, c’est notre chambre n°6 ou notre Novinki à nous : une petite ville bien riche et bien propre aux abords de Paris où on enfermait les fous. Ainsi, depuis 1641, dire en français qu’on va à Charenton, c’est dire aussi qu’on va à l’asile. Le marquis de Sade y a été enfermé à deux reprises et y est mort en 1814. Le poète Paul Verlaine y a fait plusieurs séjours. À une époque, on trouvait d'ailleurs de tout à l’« asile de Charenton » : des femmes au foyer, des gens sans profession apparente, des aubergistes, des bouchers, des boulangers, des épiciers, des limonadiers, des marchands de tabac ou de vins, des bijoutiers, des cordonniers et des tailleurs, des couturières et des cuisinières, des menuisiers, des étudiants et des instituteurs, des médecins et des pharmaciens, des notaires et des huissiers, des cultivateurs et des jardiniers, des imprimeurs et des libraires, des prêtres et des poètes, et même et surtout, des riches. On y entrait par hérédité, libertinage, usage du mercure ou coups sur la tête ; excès d’études, de CO², insolation, passion du jeu, revers de fortune, amour contrarié, excès de joie ou lecture de romans excitant le cerveau ; on y restait pour monomanie, démence, paralysie ou idiotie. On n’en sortait qu’une fois considéré comme inguérissable ou sur ordonnance pour « changer d’air ». C’est dans cette petite ville que j’habite. C’est là que je construis ma maison d’édition. Elle porte le doux nom du Ver à soie.

Vous ne saviez pas que je construisais une maison d’édition ? Je comprends. Docteure en études théâtrales (IET de Paris III), habilitée à diriger des recherches en histoire (EHESS), j’avais rêvé de devenir Professeur des universités ou d'entrer au CNRS en tant que chercheuse. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que j’ai dû être maraboutée par une sorcière qui, comme dans les contes du XIXe siècle, s'est débrouillée pour me faire faire le ménage à l’œil dans l'attente de pouvoir un jour me manger. C’est ainsi que j’ai erré pendant 13 ans, de recherches en recherches, de chaires en laboratoires, pour me réveiller un beau matin de ce sortilège en comprenant à quel point j'étais devenue « biélorussienne ». Et lorsque je dis « biélorussienne », je ne parle pas d’une « nationalité ». Je parle d’une certaine manière de ne jamais exister dans le regard des autres ou d’être comme une mouche engluée sur les taxons inférieurs de la grande toile dite « des races et des civilisations ». Comme l’expérience de l’illégitimité n’est pas une maladie guérissable, j’ai pensé ma maison d’édition comme on pense un « asile ». On y parle donc de quête, de voyages extraordinaires, de déplacements subis ou choisis, de décentrement, d’exil et de sentiment d’exil. On y transforme la colère ou la peine en objets de papiers, ludiques et beaux, doux et chauds. C’est là que j’ai commencé à m’entourer de magiciens…

17 juin 2013

Naissance du Ver à soie

Drôle de chose que de construire sa maison d'édition sans murs et sans capital, toute seule, dans son appartement. On me dit qu'une maison d'édition, c'est du bu-si-ness. C'est dire si nous ne sommes pas sur terre pour rigoler. « Virginie, il va maintenant falloir gagner de l’argent ! », me dit-on. Et dire que j'ai eu 13 ans de chômage et de précarité pour penser à cet argent qui a la particularité de savoir rentrer chez les autres, mais qui ne sait que sortir de chez moi. En attendant, je n'ai pas vu le jour depuis 6 mois. Travail constant de 7 heures à 2 heures du matin. Rythme napoléonien : est-ce vraiment nécessaire ? Mais cela fait si longtemps que je ne m'étais pas autant amusée. Construire un site internet ? Facile, après avoir écris 2 thèses. Ici, X est nécessairement égal à X. Trois ne peut pas être égal à zéro. Je commence à me prendre de passion pour ce monde informatique, où les vessies ne peuvent pas passer pour des lanternes. Rencontres magnifiques : Maria Rybakova, Coco des Amériques, Galia Ackerman, Crista Mittelsteiner, Nassrine Azimi, Michel Wasserman, Alain Besançon - rien que ça. Collaborateurs bienveillants, calmes, souriants, car ultra-compétents. Rêve d'une collection pour enfants multilingue avec Larissa Guillemet. Comment pourrait-on faire pour y arriver ? Pause café avec l'imprimeur : quel papier ? Ivoiré ou blanc naturel ? Est-ce seulement négligeable ? Nous sortons la règle : c'est que la rainure de couverture doit passer à 5 mm de la tranche, et pas à 5,5 mm. Émerveillement quotidien devant ce que nous sommes en train de réaliser ensemble. Quelques commandes commencent même à arriver via le site : Moscou, Lausanne, Berne, Genève, Tbilissi, Londres, mais aussi Roubaix, Lille, Calais, Toulouse ou le Mercantour ! Le dispositif sur lequel nous avons tant travaillé avec Cécile Deruy fonctionne. Pas le temps pourtant de se reposer : Vala L. Volkina, celle qui peut écrire tout ce que je ne peux pas écrire est née ; Le dernier bateau pour Yokohama arrive à quai dans trois jours ; première publication en russe à mettre en place pour la rentrée. Comment prendre les bonnes décisions ? Penser à mes anciens patrons, les pires. Me demander : quelle décision ils prendraient, eux. Faire exactement l'inverse, juste pour voir si des causes différentes produisent bien des effets différents...

22 octobre 2013

Première création d’emploi au Ver à soie

Dans le cadre du développement de ma petite entreprise, je suis confrontée à un problème récurrent : il m'arrive parfois d'avoir à faire à des hommes qui, lorsque je leur pose une question précise, montent immédiatement dans les tours au point que, à la fin de leur réponse, je ne comprends plus la question que j’ai posée. Cela commence généralement par un « Écoutez ma petite dame », se poursuit par une tirade en prose sur le fait que je n'ai certainement pas compris les difficultés qui m'attendent ou qui sont inhérentes à « leur » métier qui ne saurait être le mien ; se joint à une prise de décision négociée d'un commun accord avec eux-mêmes (« Ce n'est franchement pas la peine d'essayer ! »), voire à un exercice de prospective après lecture dans une boule de cristal (« Vous n'y arriverez jamais, vous allez vous planter ! »). Or, quand j'ouvre la bouche pour demander : « Mais pourquoi me parlez-vous comme ça ? Je ne vous demande pas si je vais me planter, je vous demande de répondre à la question que je viens de vous poser », alors, ces messieurs se mettent en colère : « Ah, si vous le prenez sur ce ton, vous n'avez qu'à aller voir ailleurs », lequel « allez voir ailleurs » est généralement suivi par un très condescendent « Je ne cherchais qu'à vous conseiller », ou par un « Je ne faisais que me placer dans la position du producteur ». Seulement voilà, au Ver à soie, il se trouve que le producteur, c'est moi. Alors, qu'est-ce qu'on fait ? Parce que, en attendant, je n'ai toujours pas la réponse adéquate à la question précise que j'ai posée. Je suis donc obligée de la chercher seule, je perds un temps considérable et, le cas échéant, ne possédant pas les bonnes informations, je cours effectivement le risque de me planter.

Aujourd'hui, confrontée pour la énième fois à ce type d'olibrius, je ne sais pas ce qui me prend. Je dis à mon mari : « Chéri, voici ce que le Monsieur me répond lorsque je lui pose une question simple. Pourrais-tu me prêter ta voix ? Juste pour voir si cela change quelque chose ? » Mon mari, amusé, s'exécute, prend le combiné et dit de sa voix calme et grave : « Bonjour Monsieur ! Dites, ma femme vient de vous poser une question assez simple, mais de toute évidence, vous ne parvenez pas à lui répondre de façon tout aussi simple. On va faire une petite expérience : je vais vous poser la même question, et on va voir si cela change quelque chose lorsque c’est moi qui vous la pose », ce qu'il fait. Et j'entends : « ... Oui ... Mm... Aha... D'accord... Très bien... Mais alors, c'est quoi votre problème quand c'est ma femme qui vous parle ? Pourquoi suis-je obligé de m'emmerder à vous reposer la question qu'elle vient de vous poser pour qu'elle obtienne une réponse ? Vous pensez que je n’ai que cela à faire ?... Ah, vous vouliez la conseiller ?... Aha... C’est drôle, parce que, vu de ce côté-ci du téléphone, le sentiment était plutôt que vous la preniez pour une idiote. Prenez-vous ma femme pour une idiote Monsieur ?… Mais oui, monsieur, très certainement, je vais dire à ma femme que vous vous excusez... Que vous n'avez pas voulu... Que vous allez lui parler correctement maintenant... Et bien sûr, maintenant, grâce à vous, elle ne va pas du tout se planter, au contraire, car toutes les chances seront maintenant de son côté pour qu'elle réussisse. Sommes-nous bien d'accord ? » Et il me repasse le combiné.

Pas facile de se concentrer lorsqu'on est au bord du fou rire et que le salon s'est tellement empli de testostérone qu’on n'a plus du tout envie de travailler, en fait. L’homme est devenu absolument charmant, la goujaterie s’est muée en bienveillance, les réponses adéquates aux questions posées pleuvent, le monsieur est devenu correct, courtois, presque brillant d'ailleurs. Et je me dis, sincèrement, mais quel dommage d'avoir monté ma petite entreprise au XIXe siècle ! Je le dis à mon mari : « Est-ce que tu te rends compte que, sans toi, j'aurais pu passer totalement à côté du fait que ce type était compétent ? Ne voudrais-tu pas me faire un devis pour location de voix à la minute ? Cela m'éviterait de me faire pratiquer une trachéotomie ou de me faire piquer aux hormones ! » Au fond, ce serait une niche : location de voix d’hommes pour femmes entrepreneuses. Ce serait même un coup à devenir milliardaire. Depuis, nous réfléchissons à la manière d'appeler ce genre de prestations... « Cascadeur émotif ? »

01 novembre 2013

Le Ver à soie et le banquier

Mardi matin, 9 h 56. Je reçois le message suivant de mon banquier sur mon répondeur de téléphone portable : « Bonjour, comme il vous manquait 40 euros sur votre compte courant pour honorer un paiement, je me suis autorisé à transférer 900 euros de votre compte épargne pour combler la différence ! » Je ne comprends pas tout de suite ce que le monsieur me raconte.

La banque se trouve sur le trottoir d'en face. Je sors en trombe sans même prendre le temps de fermer la porte. Fort heureusement, je ne suis déjà plus depuis longtemps en culotte ou en pyjama. J'arrête la circulation, je traverse en force, et — que toutes les associations de défense des droits de l’Homme me pardonnent —, j’entre dans la banque sabre en main, bien décidée à traiter mon banquier à la russe ! D’ailleurs, c’est ce que je fais : je tape du plat de la main sur le comptoir en criant : « Je veux voir monsieur A. P. immédiatement ! »

Sur ce, la tête de monsieur A. P. paraît à l’horizontale derrière une porte vitrée. Cette tête qui sourit d’un air niais profère un « Mais ma petite dame, je cherchais juste à vous rendre service. Vous n'êtes pas contente ? » Me rendre... Quoi ?... « Ma petite dame ? » Et je pense : « Aïe, aïe, aïe, mon petit damoiseau, ce n’est pas à la russe que je vais régler ton problème, mais à la biélorussienne ! » Mon sabre vient d'ailleurs de se muer en hache, et plus une tête ne dépasse derrière le comptoir. C’est bien simple, ils ont tous dû s’accroupir derrière. Et moi, théâtrale : « Espèce de voleur ! Bandit de grand chemin en costume cravate qui ne sait pas faire la différence entre un être humain et un répondeur ! Depuis quand votre voix sur mon répondeur vaut-elle ma signature ? » — « Mais madame, je vous ai prévenue », bredouille-t-il ! Et me voilà à donner à cet analphabète un cours de français sur la concordance des temps, savoir aussi la différence qui existe entre informer quelqu'un qu'on a fait quelque chose et le prévenir qu'on va faire quelque chose.

Plus je tape sur le comptoir, plus Monsieur A.P. sursaute et recule. Bientôt au fond de son grand fauteuil, blême, les cheveux dressés sur la tête, il cherche à annuler la transaction en tapant sur son clavier de façon supersonique. J’en rajoute encore une couche en martelant sur son bureau que : « Je commence à en avoir assez de tous ces hommes qui veulent « me rendre service » d'un commun accord avec eux-mêmes, en posant des actes qui me pourrissent la vie, tout cela parce qu'ils raisonnent à partir du présupposé que je suis leur « petite dame » et que je vais être « contente » ! Je ne suis pas votre « petite dame » ! Je ne suis pas du tout « contente » ! Et si vous voulez me pourrir la vie, je vais vous pourrir la vôtre ! » Ma vie de femme émancipée n’est-elle donc pas absolument intense ?

6 novembre 2013

Le Ver à soie et la concurrence bien comprise

Au cours d'une soirée mondaine, je rencontre une vieille connaissance ayant embrassé la profession d'éditeur indépendant il y a maintenant plus de dix ans. J’aime beaucoup cet homme : il est fin, intelligent et pauvre, ce qui l’oblige à avoir beaucoup d’humour. Nous nous saluons de loin, puis nous nous retrouvons autour de quelques cacahuètes et d'un verre de vin. Le dialogue donne à peu près ceci :

Lui — Alors, comment ça va ?
Moi — Ca va très bien, merci, et toi ?
Lui — En fait, je brûle de te poser une question…
Moi — Voui...
Lui — Dis-moi franchement. Alors (Un temps.) Ca y est ? (Un temps.) Tu perds de l'argent ?
Moi — Ben oui, ça y est !
Lui, me serrant chaleureusement la main — Ah, que je suis heureux ! Bienvenue dans le monde des éditeurs indépendants ! Dis-moi, tu ne te paies pas encore tout de même ?
Moi — Ben non...
Lui — Ouf ! Moi non plus...
Moi — Mais on s'amuse !
Lui — C'est ça ! On s'amuse. On nage dans le beau, dans le subtil en permanence. On se sent exister à l'ombre des grands textes.
Moi — C'est ça, on nage…

28 novembre 2013

Le Ver à soie et La Poste

Depuis plus d'un mois, le site pro de la poste est atteint « d'un dysfonctionnement persistant ». Quelqu'un a eu l'idée, au demeurant excellente, sensible, intelligente, de faire évoluer le vieux site « Mon timbre en ligne » dédié aux professionnels en lui adjoignant de nouvelles fonctionnalités qui seront certainement, un jour, toutes utilisables. Au mois d'octobre dernier, la bascule a donc été réalisée entre l'ancien et le nouveau site... Seulement voilà, le sentiment 1 est que cette bascule entre l’ancien site et le nouveau s’est faite sans que le nouveau ne soit préalablement testé ; le sentiment 2 est que, puisque l’on s’enferre à garder en ligne un site qui ne marche pas (car c’est bien là le fond de l’affaire), quelqu’un a dû oublier de sauvegarder l’ancien. En effet, une certaine logique voudrait que, lorsqu'on met en ligne un site qui ne fonctionne pas, on puisse le retravailler en coulisse tout en remettant en ligne celui qui marche, le temps de résoudre le problème. Mais à la poste, on ne fait pas cela. En fait, à la poste, on a sa propre logique.

La première conséquence est que ma petite entreprise ne peut plus générer des timbres à tarifs professionnels. À chaque fois que j’envoie un livre à un client, je perds de l’argent. Bien sûr, je prends contact depuis trois semaines avec le service client de la poste, puisque cette entreprise au capital de 3 800 000 000 euros n’a pas de service technique. De multiples femmes m'expliquent qu'il y a bien un problème, que je vais être remboursée, que les techniciens travaillent sérieusement mais dans l’ombre… Or quel est le problème ? Et bien, cette entreprise au capital de 3 800 000 000 euros ne sait pas générer des fichiers .pdf. Aha…

Puisant dans ma grande intelligence pour trouver une solution, je me rends au bureau de poste de mon quartier en dégainant ma carte PRO, bien persuadée que cette carte va me servir à quelque chose. Mais j’apprends que ma carte Pro ne me sert à rien d’autre qu’à éviter de faire la queue en cas d’envois de colis. À la Poste, la carte PRO de la poste ne sert donc pas à bénéficier des tarifs pros de la poste. Une agente m'invite donc à payer mes timbres au tarif plein, en me regardant faire son travail sur une machine, qui peut éditer des factures pour les pros, mais qui ne peut éditer que des timbres pour les particuliers. Résumons : d'un côté, nous avons un service pro en ligne qui sait encaisser l’argent des pros à tarif pro sans générer les timbres ; d'un autre côté, nous avons des bureaux de poste qui savent éditer des factures pro, mais qui ne savent éditer que des timbres au tarif particulier. Et impossible de trouver le rigolo qui a planché sur ce système pour transformer un service public qui fonctionnait parfaitement en un merdier intégral et le faire sécher par les deux pieds dans ma cage d’escalier. Je ne sais pas encore que la poste ne saura générer des .pdf qu’en février et qu’il va falloir se battre pendant 4 mois pour générer des timbres à tarif professionnel sans y parvenir. Sentiment que la France entière s’est mise en rideau.

18 décembre 2013

Le Ver à Soie et La Poste (suite...)

Énième essai de commander un timbre en ligne. Je constate que cela ne marche toujours pas. Je téléphone donc au service client pour demander à être remboursée. Je m'y reprendrai à trois fois, car leur ligne téléphonique est également instable. Ça coupe... Je remarque cependant qu'il existe deux sites avec deux interfaces différentes de la Poste : d'un côté, il y a « La boutique du courrier pour les pros », et de l'autre, « La boutique du courrier pro ». Aha ! Je pose la question à mon interlocuteur : « Vous avez deux sites maintenant ? » Réponse : « Je vous remercie de patienter... Oui oui, il y a bien un site réservé uniquement aux pros !» — « Aha ! Mais l'autre, il est réservé à qui ? » Lui : « Ben, aux pros ! Mais on n'est pas sûr qu'il fonctionne mieux que l'autre...» Aha !

Je pose la question : « Comment fait-on pour résilier son compte ? » Première réponse : « Mais c'est bien normal et...» Clac, ça coupe !

Alors on recommence : si vous voulez çi, tapez 1 ; si vous voulez ça, tapez 2. Et ça dure, les tapez 1 et les tapez 2. Je tombe bien évidemment sur un autre interlocuteur, mais ça recoupe ! Alors on recommence : et tapez 1, et tapez 2... Je tombe enfin sur... une troisième interlocutrice, qui me dit : « Je peux faire remonter l'info pour résilier votre compte, mais on ne va pas pouvoir vous rembourser le compte que vous avez pré-payé... » Aha.

Inspiration, expiration, puis adoption immédiate de la position du lotus... La dame enchaîne : « Et puis je ne vois pas pourquoi vous voulez résilier votre compte boutique pro puisque tout marche parfaitement bien ! » (Sic !) « Quel est votre problème ?», demande-t-elle. « Ben... Voyez...» Comment dire cela en gardant son calme ? « Si j'ai pré-payé un compte, c'est pour pouvoir éditer des timbres... sur des étiquettes... hein ? » Et me voilà cette fois prise d'un drôle de fou rire nerveux. « Très bien, me dit la dame, je vais faire remonter l'information ». Alors Moi : « Oui oui allons-y, remontons, remontons...»

Après n'avoir (encore !) perdu que 3/4 d'heure avec cette histoire, je me résigne à aller faire la queue à mon bureau de poste, lequel est... « exceptionnellement fermé pour travaux le mercredi 18 décembre ». Je regarde, fatiguée, cette porte fermée. Au loin, pourtant, se profile une petite lumière ! Je me dirige donc vers la lumière, pour me retrouver dans la cour qui se trouve derrière le bureau de poste. Je m'approche d'un jeune homme qui charge un camion. Me remarquant, il lance : « On est fermé depuis 18 heures ».

Moi Qui, on ?
Lui Et ben, le carré professionnel de La Poste !
Moi Pardon ? Quel carré professionnel de La poste ?
Lui Et ben là, derrière cette porte, c'est le carré professionnel de La Poste !
Moi Et on y fait quoi, au carré professionnel de La Poste ?
Lui Et ben, vous déposez votre courrier, mais vous pouvez aussi acheter des timbres à tarifs pros !
Moi Et ils ne sont pas au courant, devant, qu'il y a un "carré professionnel de La Poste", derrière ?
Lui Ah ben non ! Faudrait pas déconner non plus !

... Puis, il demande : « Ça ne va pas bien madame ? » Je dois être très blanche, en effet... Je suis plantée au beau milieu de la cour et je pense : j'ai vu les commerciaux, j'ai vu la direction, j'ai vu les employés ! Aucun n'a su me dire qu'il y avait un "carré pro de La Poste", dans le même bâtiment, mais DERRIÈRE !!! « Revenez demain à 15 heures pour voir ma collègue », me dit le jeune homme.

Je rentre chez moi, difficilement. Je raconte ces développements à mon mari, qui me dit : « Bon, alors demain, à 15 heures, on y va...» Un temps. Silence. Je lui demande : « Cela ne te rappelle rien ?» Un autre temps. «Si. Si nous sommes bien dans une imitation du roman théâtral de Boulgakov, demain, précisément à 15 heures, le carré professionnel de La Poste aura bien évidemment disparu !»

22 janvier 2014

Un vrai cadeau pour Le Ver à soie

Ce matin, je lis les actualités sur l'Ukraine. Je tourne en rond dans mon salon sans pouvoir rien faire tant cela me bouleverse. Je décide mécaniquement de regarder mes mails et je trouve mon premier courrier de lectrice de l'année 2014. Je lis :

« Je viens à l'instant de finir la lecture de Les esprits moldaves voyagent-ils toujours en bus vers l'Ukraine ? Je l'ai dévoré d'une traite, savouré plutôt. C'était un vrai repos pour les yeux, c'était beau et doux et drôle et délicat ! Je devrais écrire aussi, pour en faire une force, un rire. Merci pour ce voyage ! ».

Typhaine, Paris.

Suis-je donc en train de devenir utile ?

14 février 2014

Essayez de monter une entreprise en pleine crise lorsque vous êtes une femme (suite)

Vous êtes une femme, bon. L'avez-vous fait exprès ? Non. Vous avez décidé un jour de vous marier, bon. L'avez-vous fait exprès ? Oui. Ce jour-là, il se trouve que vous avez aussi gagné le nom de votre mari. MAIS, de nos jours, il est admis que, toute femme que vous êtes, votre nom de naissance est votre nom, et que vous n'avez plus nécessairement besoin de prendre le nom de votre mari en toutes circonstances. Madame Bertrand Saunier existe-t-elle, puisque Bertrand Saunier est concrètement un homme ? Le problème semblait avoir été résolu, car dans les faits, Madame Bertrand Saunier a toujours été un homme. Sa femme s’appelle précisément autrement. Nonobstant, il se trouve que, en 2014, certains ordinateurs — en particulier ceux de la Chambre de commerce et d'industrie du Val de Marne —, ne possèdent pas le nombre de cases suffisantes pour distinguer un nom de naissance, d'un nom marital, d'un nom dit d'usage. Face à cette indigence, on décide, pour faire simple, que le nom marital est le nom d'usage. Lorsque je reçois ma déclaration d'adjonction d'activité, je lis donc que mon nom devient Virginie Saunier, pour une entreprise déclarée au nom de Virginie Symaniec... Je décroche mon téléphone et je tombe sur une... femme :
Moi — Pardonnez-moi de vous déranger, mais pourquoi déclarez-vous mon adjonction d'activité au nom de Saunier, alors que mon entreprise est déclarée au nom de Symaniec ?
Elle — Ah mais Madame, c'est comme ça ! Je vous rappelle que vous devez porter le nom de votre mari !
Moi — ?
Elle — Ben oui, si vous voulez que votre nom de naissance soit votre nom d'usage, il faut le déclarer auprès d'une institution spécifique !
Moi — Attendez, si je veux que mon nom d'usage soit Bozzo le clown, je vais en effet devoir le déclarer auprès d'une « institution spécifique », mais je n'ai pas besoin de déclarer mon nom de naissance, puisque c'est mon nom, en fait, non ?...
Elle — Pas du tout ! Et puis, de toute façon, nos ordinateurs ne peuvent pas faire autrement !
Moi — On est dans Brazil ou quoi ?
Elle — Désolée Madame, je ne connais pas Brazil !
Moi — 1985, Terry Gilliam, Tuttle & Buttle ? Non ? Ca ne vous dit rien ?
Elle — Non, connais pas !

Profond soupir, lorsque la dame m'annonce qu'il va me falloir fournir, en prime, une attestation de domicile, sur laquelle apparaît mon nom d'usage selon sa définition. Or nos attestations de domicile sont aux noms de Mr. Saunier & Mme Symaniec. L'attestation que j'envoie m'est donc renvoyée barrée comme invalide. En revanche, le nom de Saunier est stabylobossé en orange, avec l'indication suivante : le prénom de « Saunier » n'est pas spécifié, sous-entendu, votre prénom devrait apparaître devant ! Ici, les mots ont du poids. Car parallèlement, on ne me demande plus, sur ce nouveau courrier, d'attestation de domicile. Ce qu'on me demande maintenant est une attestation « d'hébergement ».

La guerre des échanges de courriers stabylobossés commence. Je choisis le rose ! Nom de naissance : Symaniec ; Nom d'usage : Symaniec ; Nom marital ou d'épouse : Saunier, le tout également dument stabylobossé ! N. B (stabylobossé aussi) : « Je ne suis pas hébergée par mon mari ! »

Parallèlement, nous demandons à EDF une attestation de domicile aux noms et prénoms de Bertrand Saunier et Virginie Symaniec, que l'on envoie à la dame avec prénoms... stabylobossés ! Mon mari a également choisi le rose, parce que c'est décidé : nous aussi, nous savons stabylobosser, alors maintenant, on stabylosse tout, et nous accordons logiquement nos couleurs, parce que chez nous, on fait équipe !

La plaisanterie durera tout de même 3 mois et l'on devra investir dans des caisses de stabylos roses pour communiquer avec la dame dont, c'est bien connu, l'ordinateur rempli les cases tout seul et veut, à toute force, m'expliquer comment je m'appelle en orange.

La seule chose qui ne pose pas problème dans cette affaire est, bien entendu, le chèque que j'ai envoyé. Celui-là est bien au nom de Virginie Symaniec. Mais pensez, puisqu'il s'agit cette fois d’argent, cela ne pose soudain plus aucun problème à personne de l'encaisser sous mon nom dit de « naissance »... Là, Virginie Symaniec se met soudain à exister, n'est-ce pas fantastique ? L'ordinateur n'est plus du tout contre ! Dans ce cas précis, il sait très bien comment je m'appelle et il possède bien toutes les cases…

25 mars 2014

Le premier salon du livre de Paris

10 h 30. Stand de l'Institut slovaque au Salon du livre de Paris. C’est la première fois que je participe en tant qu’éditrice au Salon du livre de Paris grâce au soutien de la Région île de France. Rendez-vous au sujet d'une des prochaines publications du Ver à soie : Café Hyène de Jana Benova, prix européen de littérature 2012. Il est déjà trop tard pour qu'on ne me serve que du café ! On me sert donc un petit verre d'une substance alcoolisée bio slovaque aux herbes, qui doit non seulement m'aider à me détendre, mais aussi à lutter de manière efficace contre le fourbe courant d'air froid qui s'insinue dans les allées. Autant dire qu'il me fallut ensuite plus d'une demi-heure pour retrouver mon propre stand. Et la première envie qui me prit, en m'y installant, fut de jouer à faire de la balançoire sur ma petite chaise rouge à air comprimé. Pshitt, ça montait. Pshitt, ça descendait. Je trouvais cela très drôle, mais je pensais : oh là là, il va impérativement falloir que je trouve du café ! Mon collègue préféré (le fin, l’intelligent, le pauvre, ce qui l’oblige à avoir beaucoup d’humour), était alors justement en train d'arriver sur son stand, mais de toute évidence en proie à un mal de tête persistant. C'est qu'il venait de passer une partie de sa nuit à négocier un contrat avec des Serbes... Nous sommes d’accords. Pshitt… Éditeur est sans conteste un métier où il faut avoir le foie solide. Pshitt… Le Ver à soie a très exactement un an d’existence maintenant. J’ai déjà publié 6 livres et ma première subvention sera slovaque. Je ne sais pas encore que d’autres gens vont aimer mes livres et vouloir m’aider. Je n’ai plus l’habitude.

22 avril 2014

Au plus près de la rupture

Il m’arrive encore de temps en temps de rencontrer de vieilles connaissances du monde académique. À chaque fois que je les côtoie, je reviens chez moi en colère et en larmes. Hier, la conversation avec l’une de mes anciennes connaissances a donné à peu près ceci :

Elle — Oui mais toi, de toutes façons, tu es une résistante, c'est pour cela que tu n'auras jamais de poste à l’université ou dans la recherche !
Moi — Ah ! Et on peut savoir à quoi je résiste ?
Elle — Je veux dire que tu es « politique » !
Moi — Ah oui ? Et donc, on pourrait savoir de quelle politique je suis ?
Elle —...
Moi — Ben vas-y, si tu n'es pas de la même politique que moi, assume, dis-moi donc de quelle politique tu es ! Ça nous permettra justement de savoir à quoi tu ne résistes pas et, du coup, de comprendre de quelle politique je suis !
Elle — ...

N’est-ce pas fou le bruit que ça fait, le silence ?

20 mai 2014

Première tentative de vol de livres au Ver à soie

Hier, Le Ver à soie tenait une petite table de livres dans le cadre d’une conférence de l'Observatoire de Russie. Une fois ma petite table de livres installée, j'en profitai pour aller m'asseoir dans la salle, dans l'axe de la porte, pour écouter la conférence en jetant de temps à autre un petit coup d’œil sur mes livres.

La conférence est déjà bien avancée lorsqu’une dame se lève pour quitter la salle. Comme elle emporte un Volkina, je quitte à mon tour la salle pour la rattraper dans la rue : « Bonjour Madame, je me présente, je m’appelle Virginie, je dirige une jeune maison d'édition et je n'ai absolument pas les moyens de vous offrir le livre que vous êtes en train d'emporter ». C'est alors que, gênée, la dame sort un second livre de son sac : un Khrapounov à 20 euros ! L'idée de la suspendre par les pieds en plein milieu de la rue Jacob pour voir si, en la secouant, d'autres livres ne vont pas tomber de ses poches me traverse rapidement l'esprit, mais en même temps, un petit quelque chose ressemblant fort à de la fierté m'envahit :

Moi, souriante — Au fond, je vous comprends, ils sont beaux, ces livres.
Elle — Oui, ils sont beaux... (Montrant le Volkina, qui lui fait visiblement très envie.) Et celui-là ? Il est à combien ?
Moi, pensant hi-hi, allez, sois commerciale, dis-le lui tout net - 16 euros !
C'est alors que la dame sort un billet de vingt euros de sa poche en demandant : « Mais avez-vous de la monnaie ? »
Moi, fouillant dans mes poches — ???... Aaaah !... Maaais... Voui... On va en trouver, de la monnaie !
Elle, sur un ton sibyllin — Je peux vous faire un chèque, si vous voulez...
Moi, pas HDR pour rien — Ouh la, nan nan, on va plutôt trouver de quoi faire de la monnaie, d'accord ?

Et je pense : elle était donc prête à s'y reprendre à deux fois pour essayer de voler mes livres ?… Très très bon signe…

6 juin 2014

Vécu à Saint-Malo

Épisode 1

6 juin 2014, 70e anniversaire du débarquement, matin. Mon stand de livres est installé depuis hier et je prends un bain de soleil et un café sur la terrasse où se retrouvent les exposants. Mon collègue éditeur préféré (le fin, l'intelligent, le pauvre, ce qui l’oblige à avoir beaucoup d'humour), me rejoint sur la terrasse, s'assoit, pose son café, allume une cigarette, prend son courage à deux mains et lance, sans transition : « Bon. J’ai quelque chose de très important à te demander depuis des années. Dis-moi Virginie : ton nom de famille, il est aussi breton que le mien est gascon, n'est-ce pas ? »
Moi - ?
Lui – Ton nom, Symaniec, c’est Simon quand même, non ?
Moi - ??
Lui, ayant peur d'avoir fait une grosse boulette – Ah naaan ! Ne me dis pas que tu ne savais pas …
Moi – Dis, cela fait presque dix ans qu’on se connaît et ça te prend comme ça, au petit déjeuner, à Saint-Malo, le jour du 70e anniversaire du débarquement ?
Lui - Bon. J’ai su que je portais un nom juif le jour où je suis tombé par hasard sur un rabbin qui portait le même nom que moi, et qui m'a ouvert les bras en disant : « Shalom cousin ! ». Je suis très bien placé pour savoir que ça surprend, d'accord ?
Moi – Et tu avais quel âge ?
Lui - 17 ans. Et toi ?
Moi – Je venais d’arriver à Moscou par le train avec mon père et un type – mais je ne me souviens plus très bien pourquoi –, entend notre nom et dit : « Chtchymanets, chtchymanets, ça vient au moins de chtchymodan (la valise) ». Et comme il portait une valise, il dit ça en secouant sa valise. Puis il enchaîne : « Vous, vous êtes encore certainement d’anciens porteurs de valises ! » Et là mon père soupire et dit : « Non mais n’importe quoi ! Chymanets en biélorussien, ça vient de Chyman qui veut dire Simon ! Ca n’a rien à voir avec le mot russe qui signifie valise ! » Et il se marre. Moi, j’ai failli rester sur le quai, parce que ça surprend en effet. J’avais 24 ans.
Lui - …
Moi – En fait, je ne savais pas que les Gascons savaient parler le biélorussien.
Lui – Les Gascons dans mon genre parlent couramment le biélorussien Virginie.
Moi – Et moi, qui me parle, et en quelle langue, hein ?
Lui – Moi, je te parle.

Lorsqu’il repart sur son stand, très long silence de larmes au soleil.

Épisode 2

Le lendemain matin, même lieu, nouveau café, bain de soleil, cigarettes. Mon gascon d’éditeur vient s'asseoir à ma table en me lançant un « Shalom ! », auquel je réponds amusée en biélorussien par un autre « Shalom ! », tandis que notre collègue palestinien qui déboule derrière lui nous envoie un « Désolé les amis, mais pour moi, ce sera « Salam alekhum ! » », ce à quoi nous lui répondons en chœur : « Alekhum Salam ! ».

Le collègue palestinien, s’asseyant, au Gascon - Dis-donc, tu as vu comme notre amie Virginie est radieuse ?
Moi - ?
Le Gascon, au collègue palestinien - Cela fait un an qu'elle est radieuse !...
Moi - ??
Le Gascon - Et je suis heureux de voir qu'elle est enfin devenue... éditrice !
Moi - ???
Le collègue palestinien - Méfies-toi tout de même, c'est la pire des têtes de mule que je connaisse ! C'est pas possible de négocier avec elle !
Moi - ????
Le Gascon – Oui mais ça c’est un classique, chez les Gascons...
Moi - ?????

Épisode 3 : quelques minutes plus tard, à l'ombre du mécanicien Fomin

Un bateau est amarré à quai. Il porte un nom écrit en cyrillique. Le collègue palestinien me dit : « Hé, mais regarde, ce ne sont pas tes copains russes là ? » Or, il se trouve que le bateau s'appelle : « Le mécanicien Fomin ! »

Moi, pouffant - Fomin ? Russe ? Hi hi…
Le gascon, qui déchiffre le cyrillique – Encore un gascon ?
Moi – Ou plutôt un Breton typique de Brest, anciennement Litovsk. On trouve pas mal de Fomin de l’autre côté du Bug.
Le collègue palestinien – Bon ! J’ai un problème ! Je voudrais savoir : c'est quoi un Biélorussien, en fait ?
Moi – C'est très simple : c'est un juif polonophone et yiddishophone converti à l'orthodoxie qui fait mine de parler russe, si et seulement si la moitié de sa famille n'est pas catholique, l'autre moitié orthodoxe, et qu'on ne l'a pas finalement baptisé uniate en France, tout en lui faisant croire pendant des années qu'il était un enfant de nazis...
Le Gascon – ?
Moi – Ah mais tu ne savais pas ? Que les nazis Biélorussiens de France s’étaient choisi un Président qui s'appelait Abramtchik, lequel s'était choisi un « fils de Simon » pour Ministre des finances ? Sont fortiches, les nazis !
Le collègue palestinien –... Attends… Quand tu dis Abramtchik, tu ne veux tout de même pas dire Abramtchik, comme tu dirais un Abraham qui se terminerait en « tchik a tchik a tchik », par exemple ?
Le Gascon - ??
Moi – Ce que j’aime chez les Palestiniens, c’est leur capacité naturelle à comprendre le biélorussien.
Le collègue palestinien –  ?
Le Gascon – Il est vraiment magnifique ton merdier Virginie !
Moi –« Ma Biélorussie ou le merdier magnifique ! » C’est pas un titre, ça ? Éditeur, en fait, chez certains, c’est un pléonasme. Je vais beaucoup me plaire dans ce métier, vous allez voir. J'ai du lourd à y apporter. Qui veut un autre café ? …

6 juillet 2014

Avoir des idées folles

Pour ne pas me retrouver à court de trésorerie en septembre, j’ai eu l’idée d’aller vendre mes livres, tous les jours, sur le marché de Léon : un petit village landais sur la côte atlantique. Est-ce que ma maison d’édition va seulement entrer dans ma voiture ? Je charge :
- 5 cartons de livres
- 1 carton de sacs pour clients
- 1 carton d'enveloppes
- 1 carton d’objets d’Elza & de Danka
- 1 carton com & télécommunications
- 1 carton petit matériel de fabrication
- 1 carton petit matériel d'exposition
- 1 carton administration
- 1 petite table pliante
- 1 petite chaise pliante
- 1 diable & des tendeurs
- 1 carton « tapuscrits en retard à lire »
- 1 carton « matériaux de recherches en retard à dépouiller »
- 1 carton « nourriture qui ne doit pas rester dans le frigo »
- 1 valise
- 1 ordinateur
- 1 éditrice

Ça entre. Alors c’est parti pour 750 kilomètres d’autoroute. Direction : les Landes !

10 juillet 2014

Une nuit dans les Landes

J'aime mon nouveau métier. Comme les Landes sont en France, et que, en France, il faut 10 jours pour commander une connexion internet, je suis actuellement assise en tailleur sur la place centrale de Léon, le dos collé au mur extérieur de l'office de tourisme pour tenter de capter du réseau. Il fait nuit. La ligne est fortement instable et le débit, très lent. Mon ordinateur me dit qu'il me faut encore 1 h 10 pour envoyer un fichier à l’imprimeur : d'ici là, avec la chance que j'aie, je n'aurais plus de batteries et il va bien évidemment se mettre à pleuvoir. En attendant, je m'ennuie. Je ne peux même pas dire qu’il n’y a pas un chat puisque, justement, il y en a un. Lune tourne autour de mon ordinateur, vient le renifler, et se laisse caresser. Je lui raconte que, sur le marché, je suis la plus petite. Tous les autres sont suréquipés en barnum, tables, tréteaux. Moi, je n’ai que deux tables et un petit parasol rouge de jardin. Ce sont des camions entiers de saucissons aux herbes ou à la tomate, de fromages au basilic, de légumes, de jambons qui se présentent ici chaque matin... Je suis la seule à vendre des livres. J’ai aussi une petite toile cirée contre la pluie... J'aime le plein air… le bon air de la campagne… tenir mon parasol d'une main pour éviter qu'il ne s'envole, tendre des cartes de visite de l'autre, tout en gardant le sourire. J’explique au chat que, lors de la première averse, j’ai adoré voir l'un de mes cartons de livres se mettre à flotter sur la petite rivière qui s'est instantanément mise à couler dans la rue centrale du village, pendant que l'eau nous montait presque jusqu'aux chevilles... Il a l’air ahuri, ce chat. Mais je lui dis que, ce que j'ai préféré, c'est Jean-Claude : « Virginie, ton stand ne fait pas assez landais, me dit-il. Il va falloir le décorer pour lui donner une couleur locale ! Et moi, j'ai des idées ! » Et vous savez quelles idées ? Et bien je vais vous le dire : présentation de mes livres sur lit de pommes de pins ! Jean-Claude me promet même de revenir avec un bouquet de fougères… Je trouve que les hommes qui m’entourent ont toujours beaucoup d’idées, mais sincèrement, je ne sais pas toujours quoi en faire. En attendant, j’espère que personne ne va m’obliger à porter un costume folklorique. Ce que j’aime, c’est que cela ronronne, un chat, lorsqu’on lui raconte des histoires. C’est un excellent remède contre la solitude.

14 juillet 2014

Serge

Vous êtes nombreux à me demander pourquoi je me suis installée sur un marché avec les livres du Ver à soie, mon doctorat, ma chaise, mon parasol rouge, et mon HDR en chocolat. N’y aurait-il donc pas meilleur endroit pour vendre mes livres ? Très certainement. Mais quelque chose me dit que, en dépit des difficultés (pluie, vent ou soleil de plomb ; dureté du monde des camelots ; concurrence de bonimenteurs de haut vol, etc.), c’est là qu’il faut être, et précisément maintenant.

Pendant 48 heures, je n’ai pas pu installer mon stand pour cause de pluie diluvienne. Cela ne m’a pas empêché d’aller regarder comment faisaient les autres. Qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il vente, certains sont là tous les jours. Ils vendent, et je constate que tout le monde est loin d’en être au même niveau d’excellence dans le domaine. Je n’avais jamais pris le temps d’observer cela. Je me disais bien que chaque marché devait avoir son roi des bonimenteurs, mais je ne m’attendais pas à en rencontrer un vrai. Tandis que je déambulais dans les travées sous la pluie en me disant : « Tous ces gens vendent des produits de première nécessité, je ne vendrai jamais rien et mes livres n’intéresseront jamais personne », j’aperçois un attroupement autour d’un stand. Je m’approche en me disant : « Encore un qui doit vendre des légumes, du pain, du fromage, du saucisson, du melon, du vin ou du nougat ! » Pas du tout. Tous ces gens s’étaient attroupés autour de Serge, qui vend quoi ? Des crayons inusables ! D’abord, j’en pouffe. Cela me redonne le sourire. Puis, je me mets un peu en retrait pour regarder et écouter plus sérieusement ce vendeur, car strictement rien, sur son stand, ne correspond aux descriptions qu’on m’a faites des étals « qui marchent » : point de produits de première nécessité donc, point de table couverte de victuailles donnant un sentiment d’abondance, aucune décoration particulière qui vous en mettrait « plein la vue », aucune fioriture pour accrocher le regard, aucun panneau de prix promotionnels, rien à goûter ou à toucher, personne pour haranguer les foules, juste une simple table, et derrière cette table : Serge !

Le monde se presse autour de Serge et, autour de Serge, ce monde se divise en deux : ceux qui savent qu’ils ont besoin de crayons de couleur inusables et ceux qui ne savent pas encore qu’ils ont besoin de crayons de couleur inusables, mais qui ne pourront bientôt plus faire autrement que de le savoir. Comment ? Serge est tranquillement assis derrière sa surface plane et lisse, aussi détendu que s’il était assis sur un canapé à offrir du thé et des petits gâteaux à ses invités. Il n’élève absolument pas la voix, bien au contraire. Dessine-t-il ? Encore moins ! Il ne fait que décalquer des formes prédécoupées, ce qui donne l’illusion qu’il dessine, mais il ne dessine bien évidemment absolument rien de lui-même. Et que dit-il ? Rien d’autre que ce qu’il est en train de faire. Comme les excellents comédiens, il est entièrement à ce qu’il fait au moment où il le fait. Il donne à voir, mais rien d’autre que ce que font des crayons de couleur. Sauf que ce qu’il donne à voir, tout le monde l’entend parfaitement : ses crayons de couleur sont « magiques » simplement parce qu’il donne l’illusion qu’ils le sont.

De temps en temps, sans jamais cesser de décalquer ses formes — mais seulement lorsqu’on lui pose la question —, il donne une fourchette de prix d’un air totalement détaché, comme si cela n’avait strictement aucune importance : 15 euros la boîte de crayons inusables, 20 euros les deux, 30 euros les 3. Et là, je re-pouffe en calculant vite qu’il vend en fait ses boîtes à 10 euros l’unité, que ce n’est bien sûr pas ce qu’il dit, que c’est pourtant ce qu’il fait, mais c’est la manière dont il le fait qui est imparable : les gens ne se rendent même pas compte qu’ils sont déjà en train de sortir un billet de 20 de leur poche, que Serge est déjà en train de leur tendre un sac de 2 boîtes de crayons de la main gauche, qu’il est parallèlement en train de leur prendre leur billet de 20 de la main droite, et que ledit billet, lui, disparaît de leur vue en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

Je le regarde refaire les mêmes gestes, 20 fois, 30, fois, 50 fois, toujours avec la même fluidité et précision, et son stand ne désemplit pas. Les gens n’achètent pas les crayons inusables de Serge. Ce qu'ils achètent, c'est Serge : sa voix, sa manière d’être, sa détente, son bien être. J’avais déjà remarqué cela sur des salons : lorsqu’on vend, on ne s’en rend pas compte. Lorsqu’on se rend compte qu’on est en train de vendre, c’est justement que l’on ne vend plus rien, un peu comme un comédien qui se rendrait soudain compte qu’il joue, c’est-à-dire, précisément, qu'il ne joue plus. Regarder Serge m’a ramené vingt-ans en arrière. Je me suis aperçue, en le regardant faire, que je n’avais travaillé aucun personnage. Je ne m’étais même pas posée la question de savoir : « Qu’est-ce que je vais donc « faire » d’intéressant derrière ma petite table ? » D’ailleurs, qu’est-ce qu’on peut bien « faire » coincé derrière 80 cm linéaires ?

Je me suis donc réorganisée pour m'installer sur 3 mètres : 2 mètres pour les livres, 1 mètre pour moi, pour avoir de quoi poser une pile de tapuscrits à lire dans l’attente de trouver une meilleure idée sur la manière de donner à « voir » mon métier d’éditrice. Serge, qui avait remarqué que je l’avais observé les jours précédents, sourit en passant devant mon stand amélioré : « Ahaaah ! Il va y avoir quelque chose à « voir » cette fois sur le stand du Ver à soie ! C’est mieux ! » Parce que, en plus, comme tous les gens compétents qui n'ont pas besoin de se faire craindre, il est sympa, Serge. Et j’entends parfaitement maintenant le sens qu’il donne, lui, au mot « voir ». Une heure plus tard, un monsieur qui s’arrête pour acheter Le Dernier bateau pour Yokohama repart avec Le Dernier bateau + un Mamou, second livre qu’il n’avait absolument pas eu l’intention d’acheter au départ. Depuis, j'ai re-testé ce qui s’était passé à ce moment-là, juste pour voir si j’avais bien compris. Et je m’amuse en pensant que, décidément, les deux images qui m’ont toujours le mieux caractérisées dans la vie, c’est 1) le champignon qui finit par percer la chape de béton qu’on lui coule sur la tête et 2) le bâton de dynamite à mèche lente.

Depuis, je vends. Je rencontre des gens qui ont tous, sans exception, et moi la première d'ailleurs, fondamentalement besoin de la même chose : qu'on leur parle vraiment, qu'on les considère, qu'on les fasse rêver en leur racontant des histoires d'ailleurs et des destins de vie qui leur donnent de l'espoir. Je ne sais pas comment remercier Serge de m'avoir fait « voir » cela. Et c'est fou la différence qui peut exister entre lui et les « bonimenteurs » de certains fournisseurs d'accès internet, par exemple, que je ferais bien sécher en ce moment par les pieds à l'un des portants de mon parasol. On me dit qu’il faut 10 jours pour installer une connexion internet ici. Un type doit d’ailleurs être déjà parti de Paris à pied avec un fil, ou bien mon fournisseur est en ce moment même en train de fabriquer de la fibre optique. Décidément, la seule solution pour établir une connexion est de tourner à pied, la nuit, autour de l’office de tourisme. C’est comme cela que, tous les soirs, je suis assise en tailleur sur la place endormie de Léon dans les Landes.

18 juillet 2014

Piratage

Grande première aujourd'hui : comme s'il ne suffisait pas de tourner autour de l'office de tourisme de la ville de Léon pour avoir une connexion internet, le site du Ver à soie a été "piraté", si ! Il est donc actuellement interdit d'accès, si ! Alors, pirate(s) ou corsaire(s) ? J'avoue avoir un tantinet d'admiration pour les premiers. Par contre, je n'ai strictement aucune admiration, sympathie, empathie, pitié, appelez cela comme vous voulez, pour les seconds et autres collabos. Dans l'attente qu'on trouve les réponses adéquates, vous allez donc devoir supporter un très peu aimable "Erreur 403 Forbidden" sur le site du Ver à soie. Mille excuses pour la gêne occasionnée.

20 juillet 2014

Entendu ce matin

8 heures. Il pleut. Je me demande si je vais m'installer. Les autres s'installent, ce qui m'a l'air bon signe. L'averse n'est peut-être que passagère, et elle le sera, en effet. Dans l'attente, on ne baisse pas les bras ! Un camelot qui vient de finir de s'installer allume une cigarette, regarde le ciel en le priant de ne pas nous tomber sur la tête, et lance : "Bon. Vous pensez qu'ils vont bien vouloir une fois de plus jouer avec nous ce matin ?" Cela me surprend, l'emploi du verbe "jouer". C'est ce qu'on dit aussi au théâtre en parlant parfois des spectateurs : vont-ils accepter de jouer avec nous ce soir ? C'était drôle d'entendre cette idée appliquée aux acheteurs. Un grand théâtre fait de 90 petites scènes ? Chacun son texte, chacun son décor, chacun sa lumière... C'est donc aussi un peu cela un marché. Et puis, j'ai même quelques photos maintenant. Sur la quatrième, on voit que je suis installée à côté d'un vendeur de pop corn. Ce qu'on ne voit pas, c'est que je lutte toute la soirée pour ne pas lui acheter un gobelet de pop corn.

23 juillet 2014

Un vrai stage de formation commerciale

L'idée d'installer une petite librairie éphémère du Ver à soie sur le marché de Léon dans les Landes est sans doute la meilleure idée que j'ai eue depuis bien longtemps. Je suis tout de même en train de vivre une aventure assez exceptionnelle. Quand je pense que certains font des années d'école de commerce pour apprendre à vendre. Ici, chaque matin, je remets tout en question : ma manière d'être, de parler, de présenter les livres, de défendre les auteurs. D'une manière générale, je suis de plus en plus à l'aise, je parle de mieux en mieux et il devient de plus en plus « dangereux » d'approcher de mon stand. Le 14 juillet, j’étais toute fière d'avoir réussi à vendre deux livres. Aujourd'hui, je suis toute fière d'en vendre en moyenne 8 à 10 par jour. Ce n'est pas facile : le montage se fait à 8 heures du matin. On ne sait jamais à l'avance où on va être placé. Une fois qu'on sait et qu'on a déballé son stock, c'est l'attente. C'est l'heure où les camelots se plaignent encore d'avoir envie de dormir. Beaucoup expriment leur crainte de ne pas réussir à vendre. Nous sommes en pleine saison et certains accusent déjà jusqu'à 60% de perte de chiffre d'affaire par rapport aux années précédentes. C'est énorme. La semaine dernière, certains ont essuyé la pluie et les rafales qui ont emporté les parasols. On raconte des histoires tragiques de stocks renversés, cassés, trempés. C'est terrible lorsque cela arrive, d'autant que certains camelots, ici, reviennent déjà de loin. Ne me demandez pas pourquoi ou comment je le sais. Je ne pose pas beaucoup de questions, mais je le sais. Il y a des attitudes et des façons d'être, des gens qui sont plus ou moins abimés que les autres. Certains sont de vrais commerçants. D'autres ont tout simplement « rompu ». Ils font le marché comme ils se seraient réfugiés ailleurs, comme s'ils avaient trouvé un refuge. Lorsque je dis que je travaille sur l'exil, cela résonne beaucoup à cet endroit. La plupart de mes acheteurs me posent mille questions. Certains de mes collègues, non. Ils me fixent, auraient mille choses à dire, c'est juste que cela ne peut pas se dire ou se raconter comme ça, ce qu'on a décidé un jour de fuir, mais je sais qu'ils savent, que je n'ai rien à leur expliquer. Ceux-là m'aident beaucoup.

Vers 10 heures, le marché est toujours vide. Quelques campeurs commencent bien à arriver, mais ce n'est pas significatif. A 11 h 30 pile (allez savoir pourquoi à 11 h 30 pile), ce ne sont plus quelques promeneurs égarés qui arrivent, mais un véritable troupeau qui remonte les rues en venant des campings alentour. Une foule envahit les allées. Tous ensembles, tous à la même heure, et le mot se répand de stand en stand : « Ils arrivent ! » Et encore, on me dit que, comparativement aux années précédentes, il n'y a personne. Alors sincèrement, qu’est-ce que cela doit être lorsqu'il y a du monde ! Les camelots s'électrifient, ils se réveillent et tous en même temps, se mettent à bouger, à sourire, à parler. Certains se complimentent entre deux ventes. Lorsque le marché se réveille, le sentiment est d'appartenir à un grand poumon qui vient de se mettre enfin à respirer. Cela aussi, c'est impressionnant à voir fonctionner. Cela va durer une heure et demie, pas une minute de plus. A 13 heures, le marché va se vider aussi vite qu'il s'est empli. Une heure et demie pour gagner son pain du jour, c'est court. Et réussir à vendre 8 à 10 livres en une heure et demie, personnellement, je trouve que ce n'est pas si mal pour une débutante. Je comprends maintenant pourquoi j’ai fait 10 ans de théâtre. « Qu'est-ce que vous parlez bien ! », me dit une dame qui m'achète 4 livres (car ce matin, pour la première fois, je réussis à vendre 4 livres d'un coup). Je ne peux pas le lui dire comme ça, de but en blanc : « Chère amie, c'est ma vie que j'ai mis devant vous sur cette table, alors oui, j'ai des raisons objectives de parler le mieux du monde et de me manipuler un peu de l'intérieur pour que mes mots vous paraissent d'une limpidité... » Mais le plus drôle n'est pas là : le plus drôle c'est que, en sciences humaines et sociales, ce que je fais s'appelle développer du discours. Ici, cela s'appelle plus simplement faire son boniment. Je trouve que cela remet sacrément les pendules à l'heure et les pieds bien droits dans les baskets...

24 juillet 2014

Anges noirs contre Anges Blancs

Voilà, ma journée est terminée et a été pleine de rebondissements. Mon site internet est piraté donc, mais mes pirates devront attendre demain que je m'occupe de leur piraterie, car j'ai fait deux montages et deux démontages au marché aujourd'hui, et je dois reprendre quelques forces avant d’y retourner dans quelques heures. Ce soir, un homme s’est approché de mon stand pour me dire qu’il ne lisait pas, et surtout pas des livres longs. « Or donc, lui dis-je amusée, vous ne risquez pas de m'acheter des livres ! » Du coup, nous parlons, un peu de tout, un peu de rien, et surtout des textes trop longs. 3 heures après, il revient. Alors je lui demande s'il a vu des choses intéressantes sur le marché. Il fait la moue et lance : « En fait, je reviens vous voir, parce que j’ai très envie de faire un geste pour vous soutenir ! » Et comme je lui rappelle en riant qu'il ne lit pas, et surtout pas des textes longs, il dit : « Mais justement, comme je ne lis pas, j’ai décidé de vous acheter un livre que je ne risque pas de lire ! » Et le voilà qui opte pour « Sainte Russie » d'Alain Besançon, en russe ! Comme je suis éberluée par son raisonnement, je lui propose, gênée, de lui faire un prix, mais il refuse : « Non non non, je ne veux pas que vous me fassiez de prix, je décide de vous acheter un livre en russe que je ne lirai pas, pour vous soutenir, donc je le paie. Parce que je trouve ça bien ce que vous faites ! » C'était extraordinaire comme moment. Au fond, ce soir, le monde du Ver à soie se divise en deux : d'un côté, ceux qui détruisent mon travail comme on détruit un site internet, pour ne prendre qu'un exemple au hasard ; et de l'autre, ceux qui m'aident, au nom d'un principe tout aussi fort, mais complètement inversé. Anges noirs contre anges blancs, comme on dirait en Biélorussie. Quelle bagarre tout de même, n'est-ce pas ? C'est étonnant à vivre et à regarder, surtout sur la durée. En attendant, en regardant cet homme partir avec un livre russe sous le bras, je me suis dit que grâce à lui, ce soir, j’allais m'endormir avec un moral d'acier

25 juillet 2014

Initiation gratuite à l’informatique

Vous savez ce que je pense des camelots qui vendent des médicaments sur le web et qui piratent le site du Ver à soie pour envoyer des spams à partir de mon adresse mail professionnelle au risque de casser mon maigre chiffre d'affaire, ma visibilité, mes possibilités de communiquer et me faire perdre mon temps (et pas que le mien), à un mois de la rentrée littéraire ? Je vais vous le dire : « &d$ù*rt:/,*µ£$...??? poqifv rei qyrfo japoif EFH.php ! » Je lis du code depuis 15 heures cet après-midi. Ce n’est absolument pas plus compliqué que de lire du biélorussien tout en apprenant à lire le russe. Notez simplement que, ici, c'est le « ! » qui est le plus important. Pour le reste, ce que j’ai à dire à ces gens est tellement méchant qu'on traduira par « erreur 403 forbidden ». Qui sont donc les visiteurs assidus du Ver à soie ? Tout d'abord, il y a Akunamata. Je ne sais pas quelle est l'origine de ce nom de pirate, mais ce spameur opère depuis les US pour distiller des pubs pharmaceutiques. Je suis passée de toute évidence longtemps devant Akunamata sans le voir, car le bougre s'est introduit dans mon site par un composant d'e-mailing, puis s'en est érigé en toute simplicité administrateur. Si, si ! Il est donc là au moins depuis un an et a patiemment attendu, comme une souris dans du fromage, avant d'activer ses envois de spams. Mais ce n'est pas tout. Deux de mes visiteurs qui s'amusent généralement vers 4 heures du matin viennent, eux, de... Russie. Si ! Et même de Toula et de Saint-Pétersbourg. Lorsqu’on regarde leurs adresses IP, on a le sentiment d’être au croisement du BTP, des Mines et de Polytechnique. Pourquoi espérais-je, en mon fort intérieur, que nous n'allions pas tomber sur des Russes en analysant mes logs ? Il m'allait très bien tout seul Akunamata, le pirate de la pharma ! Contrairement au très fin à Akunamata, mes pirates Russes s’y sont pris comme des bourrins, des éléphants dans un magasin de porcelaine. Ils vérolent. Leur visite correspond aux heures d'introduction de lignes de code pourries partout. Akunamata et mes pirates russes n’ont clairement pas le même objectif. Спасибо, ребята ! Я очень благодарна ! Un stage gratuit d’initiation commerciale pour le jour ne me suffisait pas. Il me fallait aussi un stage gratuit d’initiation à l’informatique pour la nuit. Я не думала взять компьютерные курсы с такими мастерами !

01 août 2014

Réapprendre à travailler à l’ancienne

Vendre sur les marchés le matin et travailler le reste de la journée et une partie de ses nuits à refaire un site internet, j'adore ! Heureusement que je suis du genre à être capable de travailler 14 heures de suite sans broncher ni boire ni manger. En attendant, j'ai bien capté le message qu'on a voulu m'envoyer. Sauf qu'il y a des messages contre-productifs. Cela fait 14 ans que je suis interdite de vie sociale normale pour faute d'accès à l'emploi ; 14 ans que je ressemble à la chèvre de Monsieur Seguin avec une chapka sur la tête ! Il serait peut-être temps de m'envoyer des messages constructifs, non ? Voilà à quoi je pense ce matin assise sur ma petite chaise rouge, sous mon petit parasol rouge en buvant un café : qu'est-ce qui m'empêche d'apprendre à pirater les pirates, hein ? Rien. Mais au moment où je porte ma petite tasse aux lèvres tout en pensant que le mode combat est décidément devenu chez moi un mode de vie, je m'aperçois que j'ai face à moi... le stand de la bougie inusable, réutilisable à vie ! Sous-titre : « Créez à l'infini ! » Il s'en est manqué de peu que je ne mouchète tous mes livres de café en pouffant. C'est cela ! Moi aussi je vais me faire une grande affiche – « Les délices russes de Virginie, livres réutilisables à vie, lisez à l'infini ! » Et comme finalement, je me mets à rire intérieurement, dès 10 h 30, je commence à vendre. Je ne sais pas encore que je suis devant le stand de Marco, et que Marco, c'est le prince des camelots. À la fin de la matinée et de la nocturne, le verdict est clair : j'ai vendu 14 livres, dont 1 Besançon et 1 Khrapounov. Et hop ! « Oh, regarde chéri, des livres en russe, ce serait génial d'en offrir un à Sacha ! » « Oh, mais regarde, c'est du russe : ce serait génial de faire un cadeau à Igor ! » Mais voui, allez-y, faites-donc des cadeaux à Sacha et à Igor ! Mais aussi à Piotr, Alekseï, Louda, Galia, Zina, Natacha, Olga, Macha, Anna, Viktor, Andreï et à tous vos amis russes et russophones ! Ils seront très touchés par le fait que des Français aient eu l'attention de leur offrir un livre dans leur langue maternelle. C'est un magnifique cadeau, très personnel et très original. Et j'ajoute, certes un peu peste : d'autant que je vous garantis que tout le monde n'a pas l'occasion de lire tous les jours du Alain Besançon ou du Khrapounov en russe à Toula ou à Saint-Pétersbourg, hein ? Hi-hi...

04 août 2014

France-Sénégal

Aujourd'hui, je prends un peu le temps d'écrire : il y a quelques jours, j'ai assisté à une scène terrible sur mon petit marché. Une famille déambule et voit que ma voisine africaine, originaire du Sénégal, propose de faire des tresses aux petites filles. Tout commence bien. « Tu veux des tresses chérie ? »  « Oui », répond la petite. Alors la petite s’assoit et se laisse faire, sous le regard amusé de ses parents. Mais vient le moment de payer. Alors ma voisine annonce le prix : 10 euros. Les deux parents s'esclaffent, l'air outré : « Quoi ? 10 euros ? Vous vous moquez du monde ? » Et la femme : « Cela suffit, il ne faudrait pas exagérer tout de même ! » Mais je ne sais pas très bien décrire le ton sur lequel elle dit cette phrase : ce soi-disant ton d'autorité, ce visage qui s'écoute parler sans regarder l'autre en face, et ce corps qui reste encore quelques secondes après bloqué dans une sorte de posture de satisfaction, comme s'il se disait à lui-même « qu'est-ce que tu as bien parlé ! » Le ton monte, en français d'un côté, en wolof de l'autre, quand le père de famille jette soudain 2 euros au visage de ma voisine sénégalaise en lui disant que ce sera bien suffisant pour le « travail » qu'elle vient de faire. Cela ne leur paraît bien évidement pas « exagéré », ce geste et ce mépris. Et comme ma voisine lui dit qu'il ne peut pas lui jeter 2 euros comme ça à la figure, il ne s'arrête pas là. Il demande : « Où sont vos prix ? Je vais vous apprendre à afficher vos prix ! » Et il s'en va pour revenir, quelques minutes plus tard, entouré par deux policiers...

Et la voilà, la belle « nature humaine »... Je crois que nous pensons tous la même chose : aurait-il osé se comporter de cette manière s'il avait eu affaire à une femme blanche ? Cela se met à crier triste en wolof, car notre agent municipal menace : « Si tu n'affiches pas tes prix, je ne te place plus ! » Pendant ce temps, l'homme est planté fièrement au milieu de la travée. Il affiche un sourire satisfait et recherche la complicité des regards alentour. Mais il ne la trouve pas. Les camelots échangent, eux, des regards aussi gris que le ciel : « C'est qui ce pauvre type ? » Et quel bel exemple ce papa donne-t-il à sa fille, qui se trouve au milieu des invectives et qui ne comprend pas pourquoi ses tresses donnent lieu à des cris, à des menaces et à l'arrivée de la police ! D'une manière générale, elle ne comprend rien cette petite. Plus personne ne prête attention à elle, et c'est juste terrible à regarder : les yeux tristes et terrifiés de cette gamine qui a maintenant honte de ses cheveux.

Mais soudain, de derrière un étal, on entend à l'adresse de notre agent municipal un « Hé, monsieur l'agent, il ne faudrait tout de même pas se tromper de voleur là ! » Les plus vieux des camelots sont sortis de derrière leur stand. Personne n'a rien à dire sur le fait qu'il faut afficher ses prix, c'est en effet la loi. Mais ça crie en franco-wolof : « On est sur un marché ici ! Le prix ne te plaît pas ? Tu marchandes, tu dialogues, mais tu ne jettes pas 2 euros comme ça à la figure des gens ! » ou encore « Ça ne lui suffit pas de s'en tirer pour 2 euros ? Il faut encore qu'il appelle la police ? Qu'est-ce que c'est que ce mépris ? » Et à l'homme : « C'est ce que tu fais chez ton boulanger ? »

Le monsieur sent soudain qu'il est temps de partir. L'homme blanc ne se sent soudain plus aussi fier. Sur son passage, on entend encore un ou deux « espèce de radin » ou pire : « cafteur ». Et bien sûr, pendant ce temps, plus personne ne vend. Nous avons tous perdu une demie heure d'ouverture de vente. C'est beaucoup, sur une heure et demie. Tic tac tic tac... C'est fou les dégâts que cela peut faire, la bêtise. Cette histoire enquiquine tout le monde et, progressivement, notre agent municipal commence à comprendre ce qui s'est réellement passé. Alors il reste encore un peu sur la place pour calmer les camelots, qui sont à ce moment précis étonnement solidaires : veut-on qu'elle affiche ses prix ? La parole ne suffit donc pas ? Et que se passerait-il si tout le monde nous jetait deux euros à la figure de cette manière ? On va les lui faire, ses étiquettes ! Alors il y a du rire et du chant qui traverse la place en wolof et cela, c'est beau à regarder.

Depuis, lorsque les agents municipaux viennent faire leur tour, les sénégalaises qui sont placées aux quatre coins de la place se font signe et brandissent fièrement à l'adresse de tous une feuille de papier sur laquelle sont négligemment notés leurs prix. Un des deux agents : « C'est parce qu'on arrive que vous sortez vos prix ? » « Oui monsieur l'agent ! On ne voudrait pas que vous ne sachiez pas combien valent des tresses ! » Sur un marché, on est toujours polis avec la maréchaussée. Rires et applaudissements !

09 août 2014

Le repos, décidément, c’est la bataille

Les jours ne se ressemblent jamais sur un marché. Et les camelots non plus ne se ressemblent pas. Certains ne sont pas du tout gentils, comme ce jeune homme qui, il y a quelques jours, me hèle comme s'il était le roi de la place de la poste à 7 h 45 : « Hé, toi, tu dégages ta voiture ! » Alors je pense : ding ding dililing ding ding. Rêve-je ou vient-il d'omettre de me dire « bonjour » ? C'est que, au pays de mon grand-père, avant de s’engueuler, on commence par se présenter et par se dire bonjour. Moi, par exemple, je m'appelle Virginie et pas « hé, toi, tu dégages ta voiture ! » Qu'est-ce qu'elle a, ma voiture ? « Pourquoi elle te gêne, ma voiture ? » Aussi m'explique-t-il sur un ton condescendant, avec tous les gestes qui vont avec, comme s'il faisait un dessin à quelqu'un qui n'aurait par ailleurs jamais conduit de sa vie que, « pour ne pas s'emmerder à décharger », il doit entrer son camion sur la place en marche-avant, reculer en courbe, se retourner dans l'autre sens, et reculer une nouvelle fois pour faire une marche-arrière de façon à ce que « le cul de son camion se retrouve pile devant son stand. Comme ça, je ne me fais pas chier tu comprends ? » Ding ding dililing ding ding. Cette explication délirante me rend tout simplement d'une humeur sibérienne, car inutile de préciser que 1) la place de la poste est vide et qu'il a bien évidemment tout l'espace nécessaire pour faire ses 3 manœuvres 2) que, pour parvenir au même résultat, il est en fait absolument inutile qu'il fasse trois manœuvres 3) que, je déteste que l'on me parle sur ce ton 4) que je viens encore de passer une partie de la nuit à reconstruire mon site et que je commence à manquer d'humour 4) que je n'ai pas encore pris mon café 5) que, d'une manière générale, je vais lui apprendre ce qu'il en coûte de me prendre pour une paysanne biélorussienne dès 7 h 45...

Alors cela sort tout seul : « Bien sûr, si tu n'avais pas voulu t'emmerder, tu aurais pu entrer ton camion directement en une seule et unique marche-arrière, ce qui t'aurait conduit à faire une manœuvre au lieu de trois ! Mais comme « ne pas s'emmerder », chez les gens comme toi, cela signifie simplement trouver le moyen d'emmerder les autres, tu me demandes bien évidemment de déplacer ma voiture, laquelle ne devrait pas te gêner, même pour faire trois manœuvres, si tu savais véritablement conduire. Maintenant, si tu ne sais pas faire une marche-arrière courbe dans l'autre sens, tu peux aussi me donner les clés de ton véhicule pour que je te le déplace le temps que tu apprennes à te servir de tes rétroviseurs ! » Pense-t-il ? Le voilà planté en situation de tétanie en plein milieu de la place, la bouche ouverte et les yeux aussi grands que des soucoupes ! Pffff... Encore un qui n’a pas anticipé sur le fait qu'il s'est mis en position de négocier avec Catherine II. J'en ai marre ! Alors je le lui demande, mais cette fois, à la Suisse : « Bon alors ? C'est moi qui conduit ou bien ? De toutes façons, si tu veux que je recule il faut que tu recules aussi, alors dans tous les cas, il faut que tu te bouges, et j'ai bien l'honneur de t'annoncer que tu vas donc devoir te faire chier quand même, sauf que le mieux aurait été de ne pas aussi me faire chier par la même occasion ! » Et c'est drôle comme il fait vite pour reculer son camion. C'est là qu'on voit qu'il a bien toute la place de le faire. Inutile de préciser que, depuis, il est charmant. Il dit bonjour, tous les matins ! Et hop !

18 août 2014

Et si j’allais au Maroc ?

Il y a des gens qui ont l'air d'avoir une vie simple. Du moins, c'est ce qu'ils disent. Tenant la barre du Ver à soie depuis le 7 juillet entre la pluie, les rafales de vent, les dilettantes, les brutes, les cyberpirates et les pervers narcissiques, je les envie. Marché les matins et les mercredis soirs, reconstruction du site internet du Ver à soie le reste du temps, nuits napoléoniennes de 3 heures depuis le 23 juillet : je ne sais pas très bien comment je tiens encore debout. D’autant que ma connexion internet est redevenue alternative. Il y a quelques semaines, je me demandais si Orange avait envoyé un type de Paris pour tirer un câble à pied jusque dans les Landes. Je me trompais de peu. Un employé d’Orange est bien parti le 7 juillet, mais certainement du Maroc. Depuis, il est mort, mais personne ne le sait, car il ne s’agit pas d’une information de type « commerciale ». Je m’explique : les employés du service commercial d’Orange officient depuis une plateforme téléphonique que l’on va situer, pour faire simple, au Maroc. C'est peut-être ailleurs, mais pour les besoins du récit, on va dire qu'il est essentiel de comprendre que c'est bien plus au Sud de Léon. Sur leurs fiches clients, ils possèdent un certain nombre d’informations, comme le nom du client, sa date de naissance, son adresse de facturation, ainsi que la mention « ligne activée ». Allez expliquer à un commercial qui possède la mention « ligne activée » au Maroc que la ligne n’est pas activée dans les Landes ! Les conversations avec Aziz, Jasmine, Rafik et Kedir donnent à peu près ceci : « Mais puisqu’on vous dit que, techniquement, cela ne marche pas ! » — « Oui, madame, mais sur ma fiche, il est écris que ça marche ! » Aha…

Représentez-vous une fiche. Pour vous faire payer un service qui n’existe pas, il suffit donc de s’en tenir strictement aux informations fausses qui sont notées sur cette fiche. Et je vous passe la description de la dernière séance de négociation dans l’agence Orange du Leclerc de Dax : « Ah mais madame, si vous ne parvenez pas à configurer votre livebox, me dit une femme brune à couettes, c’est que votre code d’accès n’est pas le bon ! ». En voilà une information qui nécessite non seulement un mois et demi de négociations pour apparaître au grand jour, mais aussi qu’on vous parle comme si vous étiez la dernière des gourdes ! — « Vous avez nécessairement reçu un nouveau code madame, car nous ne donnons jamais deux fois de suite les mêmes codes ! Nous allons d’ailleurs vérifier : regardez, le code que je possède n’a rien à voir avec le vôtre ! » Or sur mon papier, il est écris agf3d. Après vérification, sur son ordinateur, il est aussi écris agf3d. Mais allez faire comprendre à une commerciale d’Orange brune à couettes que agf3d est égal à agf3d. La dernière fois que j’ai été confrontée à des dialogues de fous du même acabit, c’était à Minsk en 1994. C’est cela : disons que je suis à Minsk en 1994 !

Pendant ce temps, je me fais l’effet d’une femme-orchestre ! Je lis, je corrige, je fais illustrer, je fais fabriquer, je signe les contrats, j’administre, je comptabilise, je reconstruis ce que détruisent les pirates de Toula et de Saint-Pétersbourg, je vends sur les marchés. Ce matin, la seule langue commune que j’ai trouvée avec une italienne était le russe ; pour l’espagnol je fais de grands gestes ; pour l’allemand, je produis une quantité astronomique de moulinets avec les bras. Le résultat est que j’ai déjà réussi à vendre 240 livres. Mais vous allez voir que, bientôt, il va falloir que j’aille moi-même dans les routeurs d’Orange brancher 2 fils pour « activer » physiquement ce qui ne l’est techniquement pas vu des Landes, mais ce qui l’est, me dit-on, « commercialement », vu du Maroc ! Si cela continue, je vais y aller moi-même au Maroc, vous allez voir ! Bon sang, que font ces gens à s’occuper d’adsl s’ils ne savent pas configurer une ligne ? Ils n’ont, eux, absolument aucune idée de ce qu’ils vendent et c’est maintenant une professionnelle qui me l'avoue.

Mercredi soir dernier, bon sang, ce fut l’apothéose ! La météo avait annoncé du beau temps en soirée. A 21 heures, j’essuyais donc une première averse. Une demie heure plus tard, j’en essuyais une seconde. Bien qu'ayant perdu la moitié d'une de mes deux bouées abdominales, il me fallut peser de tout mon poids sur le pied de mon petit parasol rouge pour éviter qu'il ne s'envole ou qu'il ne se retourne. Et tandis que je venais de batailler pour sauver mon stock en fabricant in extremis une toile de tente avec ma toile cirée, un homme s'approche en riant et me dit : « Aha ! Rester assis sur ma chaise comme vous toute la journée, je sais faire ! Je veux bien d'un boulot où on glande comme ça huit heures par jour ! » D’abord, je me suis sérieusement demandée : « Mais pourquoi me parle-t-il celui-là ? » Ensuite… Non, je vous fais grâce de l’idée qui m’a traversée l’esprit, mais j’ai dû la penser si fort que : Paf ! les plombs ont sauté, et la place de la poste s’est retrouvée entièrement dans le noir. Il n’y avait plus que mes petites bougies pour éclairer le vent de folie et de désespoir qui nous a tous traversé à ce moment-là. Plus rien ne tenait. Tous se demandaient comment survivre à cet été pourri pendant que le ciel nous envoyait des seaux d’eau sur la tête. Les quelques personnes qui osaient encore déambuler dans les travées portaient des pulls et des doudounes. Nous étions tous frigorifiés. Combien de temps peut-on donc se battre comme ça contre les éléments ? Entre les cris, les rires nerveux et les regards hagards, mon parasol me fit soudain l'effet d'une île.

Le surlendemain, ma voisine avait changé. Comme nous ne nous connaissions pas, elle vint voir ce que je vendais et je fis de même pour aller voir ses produits. Nous avons commencé à discuter de choses et d’autres, puis la conversation a donné à peu près ceci :

Moi – Tu as toujours fait les marchés ?
Elle – Non, je suis ingénieur.
Moi – ?
Elle – J’ai travaillé vingt ans dans le BTP.
Moi – ?
Elle – Et toi ?
Moi – J’ai tenté de faire officiellement de la recherche.
Elle – Tu es docteur ?
Moi – Docteur habilitée.
Elle – ???
On se regarde et, on ne sait pourquoi, les larmes nous montent aux yeux. Nous sommes fatiguées. C’est bientôt la fin de la saison, n’est-ce pas ?
Elle – Qu’est-ce qu’on est en train de devenir ?
Moi – Je ne sais pas…

Dans la tempête, on tient la barre, ce n’est qu’après qu’on lâche, qu’on se détend, pas pendant, après… Et comme l’envie est de se prendre par la main, alors on ne se regarde plus. Le marché s’active tout autour. Mais Ferdi s’approche pour nous dire qu’un des camelots s’est tué cette nuit dans un accident de voiture. Personne ne comprend ce qui s’est passé. Dans les Landes, les routes sont droites. Comment a-t-il fait pour finir dans un platane ? Il y a vraiment quelque chose de contre-nature à finir dans un platane landais quand on vient du Sénégal. Il s’appelait Falou. Une pensée silencieuse pour Falou se déplace de stand en stand. La vie, ça bascule, et ça bascule vite. Alors je m’accroche à mon petit parasol, parce que c’est la seule chose intelligente à faire, non ?

Alain s’approche soudain pour m’offrir une blague à tabac en cuir tressé sur laquelle il a fixé un petit oiseau argenté. Un vendeur de Jeans que je n’ai jamais vu vient me réciter un poème magnifique qu’il a écris contre les constructeurs de murs en me demandant si je pense que cela pourrait s’illustrer. Hubert, paysan landais de son état, vient nous expliquer dans sa langue que la course landaise est au foot ce que la corrida est au rugby. Bertrand nous apporte un café du Guatemala. Ferdi se propose de nous ouvrir une bouteille de Jurançon. Mon Gus court entre les stands, et, du haut de ses huit ans, serre maintenant la main à tout le monde, apprend à écrire son nom sur des grains de riz et à poinçonner les ceintures en cuir. Deux femmes de ménage s’approchent, timides, pour me dire qu’elles ont entendu parler du Dernier bateau pour Yokohama au camping et qu’elles aimeraient bien le lire. Trois autres femmes déboulent sur mon stand pour me dire à quel point elles ont ri en lisant Les esprits… Elles ont les yeux qui brillent, elles se racontent des scènes, c’est génial à regarder. Ma collègue ingénieur me le dit : « La vie continue et on n’a pas besoin de salauds qui utilisent le travail pour justifier leur propre inhumanité dans nos petits jardins, n’est-ce pas ? » Elle trouve même la force de plaisanter : « Pas vrai, docteur ? » C’est ça d’être entourée par des gens biens. Ils vont bientôt me manquer…

21 août 2014

Extinction des feux

270 ! C'est le nombre de livres que Le Ver à soie aura vendu jusqu'à hier soir dans sa petite librairie de plein air landaise ! Mes fournisseurs et mon banquier vont être contents. Quant à moi, je vais maintenant pouvoir prendre quelques jours de vacances sans dettes, ce qui n'est pas rien pour un entrepreneur français du XIXe siècle. Autre satisfaction : j’y ai passé mes nuits toute seule, mais mon site internet est neuf et prêt à devenir deux fois plus performant. Mais pas encore, pas encore. On va attendre. J’ai compris mes erreurs, mais je veux encore pouvoir y réfléchir après avoir dormi normalement et avoir trouvé un bord de mer pour boire une petite mousse face à l'océan et lever mon verre à tous les camelots qui ont éclairé mes journées depuis le 7 juillet. Merci à eux, merci Léon ! Je suis prête pour la rentrée littéraire.

22 août 2014

Drôle

Depuis que j'ai posté mon billet « Il y a des gens qui ont l'air d'avoir une vie simple... », les pubs FB que je reçois dans la colonne de droite ont changé : j'ai, d'une part, « débarrassez-vous de 20 ans de rides gratuitement » et, d'autre part, ... « Validez vos acquis de formation » !

8 septembre 2014

Retour à Charenton

La vie quotidienne reprend. Aujourd'hui, rendez-vous chez le dentiste à 18 heures pour Gustave. Nous arrivons à l'accueil : « Bonjour, Gustave a rendez-vous à 18 heures ». La dame regarde sur son planning, qui, je tiens à le préciser, n'est pas un cahier, mais un tableau sur écran d'ordinateur. Silence. La dame nous cherche. De toute évidence, elle ne nous trouve pas, appelle la dentiste, met la main devant sa bouche comme pour parler le plus bas possible et lui demande : « Aviez-vous encore un rendez-vous à 18 heures ? » De toute évidence, la réponse qu'on lui donne est non. Elle poursuit à voix basse : « ...C'est que, en fait, quand je regarde comme ça, je ne les vois pas, mais quand j'utilise les jumelles, je les vois... » Moi - ?

En fait, comme personne n'a utilisé les « jumelles » pour consulter le planning, on n'a donc pas « vu » que nous avions rendez-vous, et donc, on nous a gentiment demandé de rentrer chez nous en nous expliquant que là, ça n'allait pas être possible, sans « jumelles », de nous donner un autre rendez-vous. Il faut rentrer chez nous et téléphoner, si si, pour tomber sur la même dame, qui, par téléphone, si si, pourra utiliser la fonction « sortir les jumelles », aux fins de consulter le planning ultérieur à celui de la semaine prochaine. Et bien sûr, tout cela nous est expliqué avec le plus grand sérieux. Personnellement, je pense que la solution est de changer de dentiste, mais cela n'enlève rien au sentiment de vivre... je ne veux pas dire chez les dingues, parce que, dingue, je le suis aussi dans mon genre, mais moi au moins je le sais, que je suis dingue ! Eux n'ont pas l'air de le savoir, c'est ça qui surprend.

3 octobre 2014

Ma dernière réponse au monde académique

Ce matin, je reçois la réponse au dernier dossier que j’ai envoyé pour candidater sur un poste dans l’Education nationale : « En dépit de l'excellence de votre dossier, j'ai le regret de vous informer que le comité n'a pas retenu votre candidature... » C'est drôle tout de même, parce que, en composant ce énième dossier j'avais pensé : cette fois, c'est vraiment le dernier que j'envoie et, comme je n'avais pas été auditionnée, je connaissais déjà la réponse. Aujourd'hui donc, je reçois la réponse formelle : « En dépit de l'excellence de votre dossier, j'ai le regret de vous informer que le comité n'a pas retenu votre candidature... », et je souris d’abord en pensant : « En dépit de l'excellence de votre tapuscrit, j'ai le regret de vous informer que le comité n'a pas retenu l'idée de vous publier... » Et là, pour la première fois depuis 14 ans, en ouvrant ce type de courrier, je ris…

07 novembre 2014

La poste ou l'éternel boulet

Je viens à nouveau de passer presque ¾ d’heure dans mon bureau de poste pour poster 2 colis, savoir qu’il m’a fallu me battre avec... des machines : sur deux d’entre elles, il faut se mettre à la hauteur des touches, c’est-à-dire à genoux, pour pouvoir taper les informations demandées.

Plusieurs solutions :

1) Mettre des coussins à disposition des usagers pour qu’ils puissent se mettre à genoux, à savoir dans l’axe des touches ;
2) Rémunérer quelqu’un spécifiquement attaché à se mettre à genoux pour manipuler ces touches ;

(Je renonce à l'idée de voir des techniciens être déployés pour venir régler ces machines correctement, c'est d'ailleurs une idée idiote...)

Bref, tout autour, on se balade. Nul n'est habilité à agir. « Ah ben c'est comme ça Madame ! » J'en ai marre, mais j'en ai marre de ces gens qui n'ont que ces mots là à la bouche : « C'est comme ça ». « C'est normal », me dit un Monsieur. « Alors qu'est-ce que vous attendez pour vous mettre à genoux, lui dis-je, puisque vous trouvez cela normal ! »

Arrive enfin une employée de la Poste : « Mais regardez Madame, me dit-elle, moi j'y arrive très bien ! Il suffit de taper en bas à droite de la touche, comme ça, un peu en biais ! » – « Alors faite-le, qu'est-ce que vous attendez, puisque vous y arrivez très bien ». Mais la dame a un menhir à livrer, ce n'est pas son métier, en fait, c'est le mien ! Payer pour passer 3/4 d'heure à taper en bas à droite un peu en biais, c'est à nous de le faire.

Ils m'ont encore donné un formulaire de plainte à remplir qui finira dans les limbes. Là, je n'ai pas le temps. Mais je pense que je vais finir par aller voir quelqu'un de compétent pour demander comment je peux faire reconnaître mon travail comme étant effectif à la Poste, parce que moi aussi, je veux un salaire, et surtout quand je travaille à genoux. Et vous allez voir que là, il se trouvera bien quelqu'un pour me dire que « ah non, ce n'est pas normal, comme exigence...».

08 novembre 2014

Danse moldave

Belle journée au salon Russkaya literatura, ouf ! : bel espace, belle disposition, une fréquentation régulière, de nouvelles rencontres intéressantes et des ventes, chacun s'efforçant, pour l'instant, de ne pas introduire trop de considérations politiques sur les stands. Bien sûr, je n'ai pas pu éviter le collègue Stal venant m'expliquer que la fin justifie les moyens et qu'il faut bien comprendre que les Ukrainiens de l'Ouest sont tous des nazis (ceux de l'Est ne pouvant pas l'être, puisqu'ils sont russophones). J'ai donc dû couper court à cette conversation en lui répondant que je n'allais décidément pas pouvoir continuer à lui parler plus longtemps dans la langue de Pétain, car il faut bien comprendre qu'on doit surtout être cohérents. L'était tellement estomaqué qu'il en est devenu muet, ce qui m'a beaucoup plu.

La scène la plus magnifique de la journée s'est déroulée autour des Esprits moldaves voyagent-ils toujours en bus vers l'Ukraine ?, lorsqu'un jeune sourd, passant devant mon stand, a vu le titre du livre et s'est jeté dessus en me faisant comprendre par de grands gestes qu'il était justement... Moldave ! Comme il voulait savoir de quoi parlait le livre, j'ai donc demandé à son ami s'il voulait bien me traduire. Et me voilà soudain devant l'histoire que j'ai écrite traduite en langue des signes. C'est-à-dire que cette histoire, je la vois se dérouler sous mes yeux pendant que je la raconte, et je constate que, wouah, il faut beaucoup d'énergie pour traduire en gestes du Volkina. On aurait dit une danse. Et c'était tellement génial ce qui était en train de se passer, que j'ai commencé à en glousser d'admiration, pendant que le jeune sourd était pris, de son côté, d'un formidable rire physique et silencieux.

Puis, ce fut son tour de commenter, et son ami, toujours de traduire : « C'est trop drôle, c'est ça, c'est exactement cela, le poulet, le framboisier, c'est tout son frigo... Il veut le livre ! » Et les voilà tous les deux à vider leurs poches. Je suis même payée en centimes d'euros, ce qui suscite de nouveaux rires et toute une nouvelle gestuelle. Cette bonne humeur s'est bien évidemment transmise comme une trainée de poudre à toute notre tablée. Et c'est drôle comme une rangée de stands sur lesquels règne la bonne humeur vend tout de suite mieux tout de même. Cette scène a également donné à mes voisines une énergie incroyable. C'est toujours la même histoire en fait : qui veut se comprendre se comprend parfaitement. Tout le reste, c'est du vent.

10 novembre 2014

Rêve

Avant, je ne comprenais pas pourquoi je me prenais les portes vitrées. Maintenant, tout devient parfaitement clair. Je constate que je ne suis pas du tout la seule à être sujette à ce phénomène dans le monde de l’édition indépendante. Hier, j'ai d'ailleurs trouvé plutôt rassurant de voir un de mes collègues s'effondrer après s'être pris le pied dans une ornière, parce qu'il regardait bien évidemment en l'air tout en réfléchissant aux vertus d'une nouvelle application qui allait, disait-il, lui faciliter la vie. On lui a tous dit qu'il avait encore beaucoup de travail à faire sur un tout autre plan, en particulier sur celui qui consistait à regarder où il mettait les pieds, ce à quoi il a répondu tout à fait tranquillement, et en arborant un sourire béat, que sa souplesse légendaire lui avait toujours donné la capacité unique de s'étaler de tout son long dans n'importe quelle circonstance, tout en évitant systématiquement les triples entorses.

Le mieux reste quand tous ces gens parlent de leurs enfants : « Dis, est-ce que ton fils a déjà essayé de mettre le feu à son école ? Parce que le mien a essayé dès la maternelle, on était tout de même hyper gênés... » ; « La mienne, à cinq ans, nous a demandé un jour, furieuse : mais pourquoi elle croit qu'elle pense, la maîtresse ?» « Aaaah moi le mien a dit à sa maîtresse qu'il avait envie d'aller aux toilettes, mais il en a profité pour s'enfuir de l'école. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il était sorti de l'école, tout seul, à trois ans et demi et à trois heures de l'après-midi, il a répondu que, dehors, c'était bien plus vivant et beaucoup plus intéressant. On était super embêtés... » Cela faisait des années que je n'avais pas ri de cette manière. Et mon éditeur préféré à un moment de lancer : « Non mais regardez Virginie. Cela fait au moins huit ans maintenant que je la connais. Avant, elle ne souriait que le 366e jour de l'année. Aujourd'hui, elle est devenue... éditrice et ça, ça change tout ! »

18 novembre 2014

Lancement des Germanophonies

Chaque nouvelle publication est un exercice d'endurance, à tous les niveaux. Ce matin, c'est enfin signé et officiel : Désordre d'Einar Schleef, le premier livre de la collection "Les Germanophonies" dirigée par Crista Mittelsteiner, sera bien préfacé par un texte de Elfriede Jelinek, prix Nobel de littérature. Il y a encore beaucoup à faire d'ici à la parution en avant-première de ce livre, qui doit accompagner les 28 et 29 novembre prochains le colloque international Schleef programmé au Goethe Institut et au Théâtre de la Colline. C'est maintenant que les nuits blanches vont commencer : est-ce que tout sera prêt ? Comme il faut ? Plaisir de savoir que l'on a une belle équipe : le texte que j'ai maquetté est au cœur des réalités de l'exil et ces réalités entre ex-RDA et Allemagne de l'Ouest étaient... dures. Il est certainement l'exercice de traduction le plus difficile que j'ai eu à découvrir, et je sais que cet exercice est magnifiquement réussi. Pourquoi ? Vous savez, il arrive parfois que certains auteurs et/ou traducteurs vous rendent des torchons qui nécessitent 6 mois de travail et de tractations. Le texte que j'ai reçu était un sans faute. Rien à dire. Il coulait, relu d'une traite, sentiment qu'il pouvait être lu à haute voix, aucun autre choc que sa violence constitutive. Je sais les heures de travail qu'il aura coûté aux traductrices qui se sont plongées dans cet univers de l'instabilité et du désordre. Finesse du graphisme et des propositions d'Olivia Grenez pour la couverture. Qu'est-ce qu'on a à dire lorsqu'on est entouré par de vrais pros ? Rien, en fait. Il n'y a qu'à les suivre. Encore quelques détails à régler, savoir attendre, se tenir prête à prendre les décisions sur lesquelles on ne pourra plus revenir au moment du lancement des rotatives. Je crains toujours ce moment, surtout en état de fatigue, parce que c'est celui où on est obligé d'avancer en laissant l'équipe derrière soi, cette équipe que l'on peut décevoir aussi, précisément à ce moment-là. Le problème est toujours le même : savoir prendre de nouveau le risque d'échouer à fond. Ce qui m'aide ? Me dire que si l'on atteignait la perfection, il n'y aurait plus à progresser, il n'y aurait donc plus qu'à s'en aller. Je la connais bien, cette petite mort-là, celle que mes anciens pairs (père ?) m'ont demandé de côtoyer pendant des années, celle qui ne donne le sentiment que de bêcher de la terre gelée. Je me rends compte que je suis en train de me préparer à lui faire la nique une nouvelle fois, à cette petite mort. Rêve de temps encore gagné, et de rotatives qui se mettent à tourner.

Copyright © 2014 Le ver à soie - Licence GNU/GPL
Joomla !