Diana Jamborova Lemay – Marek, le Cameroun est omniprésent dans vos livres depuis plus de 20 ans. Vous semblez fasciné par ce pays et par sa culture. Comment un Slovaque tombe-t-il amoureux de l’Afrique ?

Marek Vadas – J’ai découvert le Cameroun en 1997, c’était donc il y a très longtemps. J’y suis d’abord allé sans rien savoir du pays. Je devais faire deux reportages pour le journal pour lequel je travaillais à l’époque. J’étais inexpérimentée, je craignais diverses maladies et la criminalité, mais c’est tout autre chose qui m’attendait et je n’y étais pas préparé.

J’ai été submergé par l’intensité de mon expérience, par les senteurs, par les couleurs. Mais ce qui m’a surpris le plus étaient les manières d’agir des gens. Surtout celles des gens de la campagne, car il y a une grande différence entre la campagne et les villes. Les villes, là-bas, ressemblent déjà aux villes européennes. À la campagne, les gens sont très pauvres. Il y a des maladies dangereuses et peut-être que, plus la mort est proche et plus est grande l’intensité avec laquelle ils vivent leur vie et expérimentent leurs sentiments. Dans leur philosophie, il n’y a pas de futur, seulement le passé et le présent.

En se tournant toujours vers le passé pour savoir comment se comporter, en demandant toujours aux ancêtres quelles décisions prendre, leur vie ressemble à celle de leurs ancêtres il y a des centaines d’années, et, ce qui me fascine dans tout cela, ce sont toutes ces traditions qui sont toujours très présentes.

D.J.L – Vous êtes membre du Conseil des Anciens dans un petit royaume de Nyengié qui compte 1000 habitants. Comment êtes-vous devenu conseiller du roi et quel est votre rôle ?

M.V. – Dès mes premières visites au Cameroun, j’ai toujours été à la recherche de pratiques traditionnelles liées à la guérison, à la divination, à la sorcellerie et ainsi de suite, et j’ai donc rencontré beaucoup de guérisseurs. Je suis arrivé à Nyengié, où le roi lui-même est guérisseur. Il s’occupe des troubles locomoteurs et peut remettre les gens sur pied après une polio ou une attaque cérébrale grave. C’était un homme jeune, à peu près de mon âge, et dès le début, il a été assez spontané avec moi. Il était surpris qu’un homme blanc s’intéresse aux herbes qu’il ramassait, à la façon dont il préparait de la potion pour les malades ou à ce qu’il faisait pour eux. Un soir, le roi m’a dit que tout le monde me connaissait désormais, que nous étions amis et que nous n’allions pas seulement boire ce vin de palme sous un arbre. Il m’a annoncé que nous allions faire la fête pendant le week-end, et à ma grande surprise, pendant cette célébration, on m’a fait asseoir dans le groupe de ceux qui faisaient partie du Conseil des Anciens.



Le Conseil des Anciens compte dix membres dans ces régions, mais son nom ne signifie pas que ce sont les vieux hommes les plus sages qui en font partie. Ce sont les personnes qui se partagent différents domaines de compétences. Et comme je n’allais au Cameroun qu’environ une fois par an, je suis devenu plus ou moins un membre d’honneur, car je ne peux pas assister à toutes leurs réunions. Le Conseil des Anciens s’occupe de toutes sortes de choses comme, par exemple, des petits litiges concernant les champs. Je ne connais pas assez bien chaque villageois pour pouvoir d’une manière ou d’une autre porter un jugement juste.

Mais bien sûr, j’aide comme je le peux sans qu’on me le demande. Lorsque je vais là-bas, j’emporte toujours des choses qui pourraient aider, comme de vieux ordinateurs portables collectés auprès de mes amis afin que les écoliers, qui n’ont jamais vu d’ordinateurs là-bas, puissent les utiliser à l’école. J’ai aussi apporté un broyeur d’écorces pour le roi par exemple et bien d’autres petites choses.

D.J.L. – Vous avez séjourné dans ce royaume plus d’une dizaine de fois, pendant plusieurs semaines à chaque fois. À quoi ressemble une journée ordinaire de ces hommes et de ces femmes ? Le temps joue-t-il un rôle aussi important que dans nos sociétés européennes ?

M.V. – Leur vie ressemble à notre vie d’autrefois. Ce sont des agriculteurs, et le royaume est situé dans une vallée humide au milieu des montagnes, pleine de cacaotiers, de caféiers, et surtout de palmiers à huile et de divers autres palmiers dont ils tirent du vin de palme. Ils cultivent le meilleur vin de palme de la région, et leur seule activité est de s’occuper de leur plantations. Ils apportent ensuite leur production sur le marché où ils en font commerce. Mais là, où on voit une grande différence avec nous, c’est dans la cohésion qui existe au sein du royaume. Ils vivent comme une grande famille. Si des gens de ce royaume qui n’ont pas de liens familiaux se rencontrent en ville, ils se comportent comme des frères et sœurs, même s’ils ont des parents complètement différents. La famille reste la plus grande des valeurs à leurs yeux, et la plus grande peine qui puisse leur être infligée par leur tribunal est le bannissement. Cela se produit rarement, et seulement dans les cas de crimes les plus graves. C’est pire que d’aller en prison, car une fois qu’une personne est rejetée de la communauté, elle perd son droit à être aidée et se retrouve seule au monde. Le Conseil des Anciens, avec le roi, s’occupe en fait de toute la vie de la communauté. L’État n’intervient pas, de quelque manière que ce soit. Ils ont des tribunaux, par exemple, où le coupable se tient sur une pierre sacrée. Leur foi en divers esprits et ancêtres est si forte qu’ils ne peuvent pas mentir s’ils se tiennent sur cette pierre.
Vous m’avez posé la question sur le temps, il ne signifie vraiment rien là-bas. Ce qui est important, c’est le passé, et ils ont besoin de savoir s’ils se comportent de telle sorte que leurs ancêtres puissent être satisfaits de leurs actions.

D.J.L. – Passons au Guérisseur maintenant. La réalité et le monde imaginaire et fantastique s’y entremêlent, et vos lecteurs sont comme aspirés par cette ambiance. Vos récits sont assez courts, mais la magie opère dès les premières phrases. Pourquoi avoir adopté ce style de conteur africain ?

M.V. – Après être revenu du premier voyage, puis du deuxième et du troisième, je me suis demandé comment utiliser mes expériences du Cameroun, et, finalement, j’ai réussi à le faire sans savoir vraiment comment. Je ne voulais justement pas jouer le rôle du conteur noir parce que je sais que je pense comme un Européen. Mais la façon de parler, l’oralité camerounaise, même lors des rencontres informelles dans les bars, m’a fasciné – notamment le flux de la parole et la façon dont la logique et la succession temporelle s’y perdent souvent. J’ai essayé de me plonger dans cette atmosphère et j’ai découvert que ce que j’écrivais auparavant était bien plus facile à écrire en le transposant dans une atmosphère africaine. Parce que ce mélange de rêve et de réalité y est beaucoup plus naturel. Comme les fantômes. Là-bas, ils ne font pas juste partie des contes de fées, ils sont réels et font partie du quotidien. Ils existent si bien qu’ils influencent les actions de chacun, et les gens demandent toujours aux esprits ancestraux comment ils doivent se comporter, et ce sont finalement eux qui décident de ce qui va se produire. Ce rêve, cette fantaisie, a donc trouvé là un environnement très propice aux thèmes qui me sont chers.

D.J.L. – Dans un cadre où les traditions et les croyances servent de toile de fond, le questionnement sur la mort semble récurrent. Parler de la mort est pour nous devenu un sujet quasiment tabou, mais peut-être aurions-nous beaucoup à réapprendre sur ce sujet… Quel est votre avis ?

M.V. – En Slovaquie, la mort fait partie des thèmes les plus courants que traite la littérature, mais pour ce qui est de la vie quotidienne, nous allons traditionnellement honorer nos ancêtres une fois par an, à la Toussaint, tandis qu’en Afrique, on dresse une table pour les morts au moins une fois par semaine. Régulièrement, lors des cérémonies, les Camerounais demandent à leurs défunts comment se comporter et reçoivent des conseils de leur part. Ils invoquent les esprits de diverses manières, soit en leur parlant directement dans la pénombre, soit en recevant des messages par l’intermédiaire de divers animaux, tortues, araignées ou autres. Mais le fait est que ces ancêtres sont avec eux tous les jours, dès qu’ils en ont l’occasion. Ils ne s’effacent jamais de leur mémoire. Le Guérisseur est pleinement avec eux.

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