Diana Jamborova Lemay – Question pour Jana. Comment avez-vous commencé à écrire
Café Hyène ?

Jana Beňová – Quand j’étais enfant, je voulais avoir un chien et je l’ai eu ce chien rêvé. Mais, c’était un chien mauvais, méchant. La vérité est qu’il n’y a pas de chiens méchants, il n’y a que de mauvais maîtres. A l’époque, j’étais enfant, alors ce n’était pas de ma faute si ce chien était méchant, il avait été élevé par des membres de ma famille. Tous ont été mordus par le chien. Nous avions peur de lui. C’est là que j’ai commencé à écrire un roman, l’histoire d’un chien que tous les enfants rêvent d’avoir. Qui serait mon bon compagnon, mon ami, avec qui je passerais pleins d’histoires amusantes et agréables. Dans mon livre Café Hyène, je mets fin à l'histoire de ce chien. Son histoire se termine au moment où le personnage principal, une femme, finalement, le tue.

Diana Jamborova Lemay – Question pour Marek. Vous avez écrit beaucoup de livres, y compris pour les enfants, qui se déroulent en Afrique. Notamment des contes, mais aussi Le Guérisseur et Noir sur Noir. Dans votre dernier roman, Six étrangers, à paraître au Ver à soie, on revient en Slovaquie. Vous vous êtes inspiré de faits réels dont personne ne se souvient, et qui se sont déroulés durant les années 1920 dans une petite ville de Slovaquie où les villageois ont massacré des Rroms. Alors j’ai envie de vous demander s’il y a une différence entre écrire dans un écrin africain et écrire en milieu slovaque.

Lorsque je suis allé pour la première fois au Cameroun en 1997, j’avais déjà publié trois livres en Slovaquie. En écrivant, j’ai compris que l’environnement exerce une grande influence sur moi. Quand je plaçais les intrigues de mes histoires en Afrique, j’avais le sentiment d’être un écrivain plus libre. Dans beaucoup d’histoires africaines, la réalité est marquée par les esprits et par les dieux. Les histoires des conteurs africains me permettent de mieux incorporer les différents plans de la réalité à la fiction. Souvent, j’écris sur des choses très triviales, très basiques. Mais lorsque j’écris une histoire du point de vue d’une personne vulnérable – comme une personne en marge de la société, un alcoolique, quelqu’un qui aurait des problèmes psychiques ou encore un enfant -, si je situe les problèmes de cette personne dans un milieu Africain, la façon dont ce milieu va agir sur les actions de ces personnages apporte des réponses inattendues. Pour ce qui concerne les trois livres que j’ai publiés en Slovaquie, les critiques étaient bonnes. Elles ont souvent dit que j’ai très bien décrit la vie des pauvres Africains, mais ce n’était pas mon but, je décrivais pratiquement mon autobiographie. Alors je suis revenu à la Slovaquie, car je voulais savoir si cela allait changer quelque chose dans mon écriture et ma façon d’aborder l’œuvre. Finalement les critiques ont dit que cela ne changeait rien et que j’écrivais de la même façon. Au fond, Le Guérisseur n’est pas un guérisseur à proprement parlé. C’est quelqu’un qui aide, qui accueille. Actuellement, j’ai des réfugiées Ukrainiennes chez moi. C’est sans doute par là qu’on retrouve le trait autobiographique. Le Guérisseur n’est pas un guérisseur traditionnel, Africain etc. C’est juste une personne connectée à la vie.


Virginie Symaniec – Question pour Jana. Tu as une formation théâtrale. Dans ton écriture, est-ce que le théâtre compte encore ? À quel point impacte-t-il encore ton écriture ?

C’est une question difficile. Il me semble que pour moi, ce qui est important dans un livre, c’est justement sa dramaturgie. La création c’est comme la vie, elle se développe, elle évolue, et elle crée un certain réseau. C’est avec le temps que cela prend toute sa valeur, tout son poids. La création a un sens. C’est surtout la façon dont on peut jouer sur ce réseau, sur la façon de l’élargir ou de le rétrécir, comment les relations se forment entre les éléments qui est important dans la création, que ce soit dans un livre ou dans la vie.

Quand j’étais adolescente, un de mes grands modèles était Antonin Artaud. J’avais trouvé par hasard un magazine des années 1960 où tout un numéro avait été consacré à cet homme. Comme je ne parlais pas le français à cette époque-là, je prononçais son nom à la Slovaque. Mais le plus important pour moi, c’était ce qu’il a dit à la fin de sa vie : « Je ne suis pas réalisé ». Il avait une représentation du théâtre en tant que théâtre total. Il pensait que le théâtre devait toucher les gens au point de les transformer et de changer leur vie. Lorsqu’on lit son manifeste sur le théâtre de la cruauté, on comprend qu’il avait le sentiment de ne pas avoir réussi sa vie artistique et personnelle. J’ai été très touchée par ce manifeste où il expliquait ce qu’il attendait du théâtre. J’avais 16 ans lorsque j’ai passé le concours d’entrée à l’Académie des arts et à l’époque, et je ne parlais que d’Artaud à mes professeurs de mise en scène. Beaucoup d’autres personnes ont pu influencer mon écriture et l’une d’elle vivait non loin d’ici, c’était Samuel Beckett. Donc le théâtre exerce toujours une grande influence sur moi et mon écriture. Il y a encore une semaine je regardais La classe morte de Kantor.

Diana Jamborova Lemay – Question pour Marek. Comment arrive-t-on au Cameroun quand on est slovaque ?


Lorsque j’ai débarqué pour la première fois au Cameroun, je ne connaissais rien. À cette époque, au Cameroun et au Gabon, c’était la guerre civile, et j’y avais été envoyé pour faire un reportage sur un hôpital. Dès la 1ère nuit, je me suis retrouvé au milieu d’une cérémonie qui évoquait des esprits et on y faisait des choses étranges dont je n’avais pas du tout l’habitude. Tout ce que j’ai vu, entendu et vécu là-bas était très bizarre et il fallait que je le note. Alors, je portais toujours un carnet sur moi pour noter toutes ces choses inattendues. J’ai vu un homme nu coiffé d’une casquette faire la circulation à un carrefour, j’ai vu un sorcier guérisseur entouré de scorpions. C’était tellement inattendu que je voulais tout noter pour ne rien oublier. Au début, je notais absolument tout, et au fur à mesure, mes notes devenaient de plus en plus courtes. Lorsque je me suis mis à ne plus noter que les numéros de téléphone, je me suis réjouis et je me suis dit que, voilà, je suis chez moi au Cameroun. C’est ensuite que j’ai réalisé que ce n’était pas si vrai. La preuve que je n’étais pas véritablement chez moi est que je n’avais jamais rien écrit sur le sol Africain. Tout ce que j’avais écrit, je l’avais écrit à mon retour en Slovaquie.

Lors de mon dernier voyage, je logeais dans un hôtel à grande terrasse avec vue sur toute la ville. C’est à cet endroit que j’ai pu écrire trois nouvelles de A à Z. À mon retour en Slovaquie, j’ai trouvé inutile d’y apporter des modifications avant publication. C’est là que j’ai compris à quel point je me sentais bien là-bas. Malheureusement, la guerre a éclaté, dure, et je n’ai pas pu y retourner depuis.

Virginie Symaniec - Question stylistique pour Marek. L’oralité a aussi une importance énorme dans Le Guérisseur, et j’aimerais savoir si ce sont juste ses voyages au Cameroun qui l’ont informé sur la manière d’introduire cette oralité dans l’écriture ?

La première chose qui m’a influencé au Cameroun, c’est une scène qui s’est déroulée dans un bar. C’était surtout la relation des gens dans ce bar, la façon dont ils parlaient ensemble qui m’a intéressé. Je suis allé 13 fois au Cameroun, et la chose la plus importante dont j’ai pu me nourrir, c’est le rythme de la parole que j’ai entendu dans ce bar. Lorsque quelqu’un raconte une histoire, il faut qu’il attire sur lui toute l’attention de ceux qui écoutent. Cette façon de parler ignore complètement les principes de la logique, les temps sont inversés et on perd les repères spatio-temporels. Une des grandes différences dans ce Cameroun de l’Ouest est que, finalement, les gens ne distinguent pas le passé, le présent et l’avenir. Ils vivent le présent de façon beaucoup plus intense et ils se tournent toujours vers leurs ancêtres pour savoir comment agir, comment se comporter et quelles décisions prendre. J’ai pu assister à plusieurs cérémonies avec des rois, des guérisseurs. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la façon dont les gens cherchent sans cesse à vivre le présent le plus intensément possible. Le fait qu’en Afrique tout se mélange, le magique, les esprits, la réalité, m’a permis de découvrir un univers qui me permettait de mieux écrire ce que je voulais.

Il n’y a pas longtemps, j’ai lu un conte qui s’appelle Roland d’un écrivain Hongrois qui vit à Paris. Ça m’a rappelé cette atmosphère africaine. C’est l’histoire d’un enfant qui rêve et à qui il arrive pleins de choses, il finit même en prison. Le lendemain, l’enjeu est qu’il doit se dépêcher pour ne pas rater son déjeuner avec sa mère. Cette perte des repères temporels et de la logique narrative m’a totalement happé. Tout devient soudain libre.

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