Juliette Keating - Tu connais bien l’histoire du mur dont la découverte t’a fortement ébranlée lors d’une visite de jeunesse à Berlin. Berlin est le cadre de cette saga en trois tomes, La famille Müller, dont le deuxième volume Les Morsures de l’inachevé a paru en 2024 aux éditions Le Ver à Soie. J’ai l’impression, peut-être fausse, que le mur de Berlin est peu présent dans la littérature contemporaine, malgré ses retentissements en Europe et dans le monde.
Laurent Maindon - Dans la littérature française, le thème est quasi inexistant. Dans la littérature allemande, l’histoire du mur de Berlin apparaît dans des romans, mais elle est rarement le propos principal. Le mur est souvent mentionné mais n’est pas véritablement un sujet. Dans ma saga romanesque, il détermine l’évolution de la famille Müller.
Juliette Keating - On se souvient du mur couvert de graffitis côté ouest, en lien avec l’art urbain et donc partiellement coupé de son sens politique. Le mur serait-il un décor qu’il s’agirait de briser ?
Laurent Maindon - Je n’ai pas voulu faire un roman historique, mais on peut considérer le mur de Berlin comme l’un des personnages principaux du cycle romanesque La Famille Müller, même quand il sera absent, dans le troisième tome. Le mur structure ou déstructure les relations intrafamiliales et détermine la psyché des personnages, il est beaucoup plus qu’un décor.
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Julliette Keating - Comment avez-vous commencé à écrire ?
Eve S. Philomène - J’ai écrit mon premier roman à 13 ans, alors que je m’ennuyais beaucoup au collège. J’avais du temps libre et cet ennui s’est avéré fertile pour créer des histoires d’abord fantastiques, puis plus réalistes. J’ai commencé Comme une fougère quand j’étais étudiante en master de traduction littéraire à l’université d’Avignon. Un professeur nous avait donné l’exercice d’écrire une première page de roman. J’ai été très emballée, j’ai continué. Je l’ai terminé assez rapidement, mais j’ai mis beaucoup de temps à le retravailler. Pendant plusieurs mois, j’ai fait un grand voyage à l’étranger et je pensais à ce roman dans le car ou le train, à ce que je devais remanier. À mon retour, il y a eu le confinement, j’ai eu le temps de le peaufiner. Je l’ai fait lire, et les réactions m’ont confortée dans l’idée qu’il était prêt, que je pouvais le faire publier.
Juliette Keating - La montagne est pour vous une passion que l’on retrouve dans Comme une fougère. C’était important d’écrire sur la montagne ?
Eve S. Philomène - J’ai découvert les Pyrénées quand j’étais petite, on allait marcher en famille plusieurs fois dans l’année, pendant les vacances. Aujourd’hui je suis accompagnatrice en moyenne montagne, je fais aussi des vidéos sur ma chaîne youtube liées à l’itinérance, au bivouac. C’était important d’inclure la montagne dans le roman comme lieu propice à la découverte de soi. S’éloigner de la civilisation, entrer dans un univers où l’on doit être plus attentif, plus attentive. La montagne est une ouverture au monde, amplifiée par le fait d’être seule, qui permet une plus grande conscience des choses. Il y a le côté grandiose des paysages, du fait de l’altitude, qu’on ne trouve nulle part ailleurs.
Juliette Keating - Vous avez choisi d’écrire une dystopie, pourquoi ?
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Juliette Keating - Comment es-tu devenue illustratrice ?
Elza Lacotte - J’ai toujours voulu faire ça. J’ai commencé par un baccalauréat d’arts appliqués, puis j’ai fait les Beaux-Arts de Rennes, et j’ai terminé ma formation aux Beaux-Arts de Poitiers-Angoulême pour me spécialiser dans l’illustration et dans l’édition. C’était le livre qui m’intéressait, faire des livres. À Clermont-Ferrant, pas loin de chez moi, il y a chaque année le Rendez-vous international du carnet de voyage. J’ai toujours apprécié de m’y rendre, ça me passionnait. L’illustration est venue avec. Aujourd’hui l’essentiel de mon travail est la création graphique, je crée des visuels pour des festivals, des événements culturels, je travaille aussi en cartographie et avec des écoles pour lesquelles je fais des fresques.
Juliette Keating - Tu as travaillé souvent en sérigraphie n’est-ce pas ?
Elza Lacotte - J’ai fait longtemps de la sérigraphie dans le but d’imprimer mes propres livres, mes posters, d’être autonome. Quand avec Danka Hojcusova nous avons voyagé dans les Balkans, nous avions le projet de faire de la sérigraphie itinérante. Nous transportions partout avec nous un atelier mobile. Aujourd’hui je suis plutôt tournée vers la gravure.
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Juliette Keating - Tu as illustré aux éditions Le Ver à Soie, le recueil Chatouneries, composé de poèmes écrits par Jacqueline Dérens. Comment en es-tu venue à l’aquarelle ?
Nathalie Babolat - J’ai découvert la peinture à l’âge de dix ans, par des cours de peinture à l’huile alors que, dans ma famille, personne n’avait jamais dessiné. J’ai une cousine que j’ai beaucoup remerciée, parce que, étant institutrice en maternelle, chez elle c’était pour moi la caverne d’Ali Baba : des crayons partout, des feutres, des feuilles. C’était une fête d’y aller en vacances. Puis, il y a eu une longue période, jusqu’à la trentaine, où je ne dessinais qu’occasionnellement. J’ai fait mes études à Lille, j’ai travaillé dans les ressources humaines, j’ai eu mes deux fils et j’ai ressenti le besoin de reprendre vraiment le dessin et la peinture. Les cours de dessin académique ne m’ont pas emballés. J’ai pratiqué le pastel et l’acrylique jusqu’au jour où j’ai pu faire un stage avec une aquarelliste que j’adore, Paty Becker. J’aime sa façon de garder le flou de l’aquarelle mais avec des couleurs pétantes. Pendant une semaine, en Grèce, j’ai fait un stage de carnet de voyage : des croquis rapides, sur le vif, qui m’ont beaucoup plu. À cette époque, j’étais encore salariée, je considérais l’aquarelle comme un passe-temps.
Juliette Keating - Quel chemin as-tu suivi pour devenir artiste professionnelle ?
Nathalie Babolat - J’ai eu envie d’essayer de vendre mon travail sur le marché de Noël de mon village, dans le sud de Bordeaux. J’ai peint l’église, certains lieux emblématiques, j’avais numérisé mes originaux pour faire imprimer des cartes postales. J’ai commandé 70 cartes postales, j’en ai vendu 60 sur une seule journée. J’avais été licenciée depuis quelques mois et je réfléchissais à ma reconversion. Sans doute parce que j’aimais beaucoup le camion de glaces quand j’étais petite, je rêvais d’avoir un camion-épicerie, pour aller vendre des produits alimentaires sympas aux gens des campagnes qui sont isolés. Et pourquoi pas un camion où je vendrais mes aquarelles, de village en village ? C’est ainsi que m’est venue l’idée de me lancer artiste-autrice professionnelle en ayant à cœur de rendre l’art accessible au plus grand nombre grâce à des reproductions. C’est ainsi que je me suis lancée, à l’été 2020, dans la vente sur les marchés du Bassin d’Arcachon et dans les Landes de mes œuvres originales et des produits dérivés. De plus, ces affiches, cartes postales, etc. sont imprimées par l’imprimeur de mon village. En 2022, j’ai commencé à exposer, et j’ai rejoint un collectif d’artistes pour développer ma visibilité.
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Le papier, les papiers, il en faut quatre pour un poème à planter. D’abord l’épaisseur sèche du Rives blanc, son rabat qui résiste à la pliure, puis la douceur japonaise des fibres du mûrier, sa face mate l’autre lustrée, puis translucide mais lisse et craquant, le papier de soie sensible au moindre souffle. Il en manque un ? Le voici, celui qui donne son nom à la collection : papier de riz ensemencé, étoilé de graines de coquelicot ou de fleurs des champs, de myosotis ou de salade, de carotte aussi. La fragile liasse est reliée par une minuscule attache parisienne. Une dernière touche : la plume, pour la légèreté et parce que le livret gracile s’ouvre aux écrivaines.
Bien entendu, comme de tout objet magique, sa naissance fut enveloppée de mystère. C’était en 2017 je crois, nous entendions parler d’un curieux papier spécifique, d’étranges tests dont les résultats s’admiraient au jardin de l’éditrice, d’assemblage minutieux, de recette de sorcière. L’énigme a tenu le temps qu’il fallait. Un beau matin il était là, né dans les choux, dans les roses ou dans l’atelier du Ver à Soie, nous savions plus, mais il était frais et élégant, on s’émerveillait comme on s’émerveille toujours sur le poème à planter.
Puisqu’il s’agissait de beauté et d’éphémère, puisqu’il y avait du secret, de la délicatesse, je n’ai pas hésité sur le choix du « poème » que je voulais donner à planter : Beauté secrète. Un texte poétique plutôt, je ne me considère pas comme poète, écrit un jour de fin d’hiver sur la côte normande. L’océan, la mère et l’enfant sur l’immense plage déserte où brille, déposée par les vagues, une longue traînée de coquillages. Un instant fugace et banal mais d’autant plus précieux, qui se serait évanoui si je ne l’avais pas écrit pour en garder la mémoire. Ce morceau de temps, captif dans les mots comme sur une photographie, pas figé mais vibrant de l’émotion qui a impulsé l’écriture, on peut le métamorphoser en fleurs puisqu’il est devenu poème à planter. Autant de fleurs des champs que de coquillages sur la plage normande, parmi lesquelles un autre enfant, peut-être, cherchera la plus belle.
Juliette Keating - Quels sont tes premiers souvenirs d’écriture ?
Clara Rose Delange - J’avais trois ans. Mes parents tenaient un magasin à Deauville. Entre les deux boutiques était mon lieu préféré : trois petites marches où j’allais m’asseoir et me raconter des histoires tout haut. Je n’étais pas encore capable d’écrire mais c’était important pour moi de jouer, de chanter avec des mots. Après, je n’ai pas été une élève très studieuse, j’aimais beaucoup rire. Les mathématiques ne me posaient pas de problème, mais j’écrivais les mots un peu comme j’avais envie de les écrire. Au lieu de me brimer, les institutrices m’ont encouragée en disant qu’elles gardaient mes devoirs pour la fin parce qu’en faisant abstraction de l’orthographe, elles aimaient leur côté joyeux, par exemple ma façon de réinventer l’histoire de France. Je n’aimais pas lire alors que mes sœurs étaient des lectrices assidues : j’avais tellement d’histoires à raconter, à inventer, la lecture m’apparaissait comme une perte de temps. Pour faire plaisir à mes sœurs, j’ai commencé à lire de petites choses, puis en cinquième, les romans proposés par la prof de français, Mon bel oranger par exemple. Ensuite je suis passée directement à Baudelaire, à Sartre. Baudelaire me touchait le plus ; son poème « L’étranger » reste celui qui me touche le plus car, pour moi, il dit tout. Malgré sa noirceur, ce poème était la note d’espoir qui me faisait croire que les choses pouvaient être belles envers et contre tout et tous. J’ai pris l’habitude d’écrire beaucoup de textes poétiques en jouant avec le sens des mots, je les prenais au pied de la lettre. Quand j’ai découvert Boris Vian, je me suis dit : tiens, voici quelqu’un qui écrit comme moi ! Des auteurs reconnus ont le droit d’écrire comme ça ! Ça m’a rassurée et passionnée. J’écrivais un peu tout le temps, en parallèle avec l’écriture, je faisais des maths qui me canalisaient l’esprit, me permettaient de mettre de l’ordre dans mes émotions et dans ma tête.
Juliette Keating - L’écriture est donc partiellement liée pour toi à l’école ?
Clara Rose Delange - Oui, j’ai eu la chance de rencontrer un autre prof de français, un genre de savant fou qui ressemblait au professeur Keating dans Le Cercle des poètes disparus. Il y avait du chahut dans la classe, et il ne voulait plus faire cours. Ça nous privait, nous qui étions plusieurs à suivre cet enseignement par choix. Alors, nous avons passé un compromis avec ceux qui étaient obligés d’être là, ils pourraient faire ce qu’ils voulaient, à condition de nous laisser profiter du cours. Ce prof donnait quatre sujets de dissertations, je les faisais tous, je n’en avais jamais assez. Ces écritures imposées me permettaient de sortir de ma zone de confort. À cette époque, j’étais dans une phase compliquée, j’écrivais beaucoup de poésie sombre, très sombre.
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