Juliette Keating – En tant qu’ancienne élève de l’école Boulle, tu viens des Arts Appliqués. Quel cheminement t’a conduit à l’illustration ?

Rita Renoir – À l’École Boulle j’ai étudié la communication : comment concevoir des espaces de communication, de la publicité sur le lieu de vente (PLV), des présentoirs et des éléments plus complexes. J’ai travaillé pour des sociétés de communication dans l’univers cosmétique. Après une compression de personnel dans l’entreprise où j’étais salariée, je me suis mise à mon compte. Et là, c’est devenu un peu plus aventureux ! Lassée par ce milieu, j’ai eu envie de tenter autre chose. J’ai saisi une occasion de travailler dans l’édition. J’ai débuté en donnant des coups de main à une éditrice, puis son successeur a fait appel à moi et je suis devenue coordinatrice éditoriale : gestion des auteurs, du maquettiste, du correcteur, mais également gestion de la fabrication et des imprimeurs. Je réalisais de temps en temps des illustrations et quelques projets de graphisme en cas de besoin. Je faisais également beaucoup de recherche iconographique. Quand on s’occupe d’une petite maison d’édition : il faut avoir une mentalité de couteau suisse. Quand la maison d’édition s’est arrêtée, j’ai bifurqué vers l’illustration, c’est un métier qui me faisait de l'œil depuis très longtemps.

Juliette Keating – Dans ton travail d’illustratrice, tu utilises l’outil numérique. Pourquoi ce choix ?

Rita Renoir – Quand j’étais étudiante, l’outil numérique et moi, nous n’étions pas du tout copains ! Je ne dessinais qu’à la main, je faisais des peintures, des collages. J’ai découvert l’outil numérique lors de mon premier CDI où j’ai dû apprendre à dessiner sur Autocad, un logiciel d’architecture. J’ai énormément accroché et par la suite j’ai fait une formation sur d’autres logiciels de PAO et de dessin (Photoshop, Illustrator, Indesign, 3D Studio Max…). Depuis, le numérique est devenu mon outil de prédilection. Je l’aime pour sa précision et sa fluidité.Dans mon mode d’expression, je suis très attachée à la concision pour laisser des portes ouvertes à l’imagination du spectateur.

Juliette Keating – Quelles sont tes influences ?

Rita Renoir – Je suis entre autre, imprégnée par les illustrations pour la jeunesse, j’ai de nombreux albums à la maison. C’est la fantaisie, la manière de travailler de certains illustrateurs qui peuvent m’inspirer. Je suis totalement fan de Tomi Ungerer, par exemple. Il y a tellement d’humour dans sa manière de dessiner que ça me fait mourir de rire même quand il aborde des sujets graves. Tomi Ungerer travaille aussi bien dans la satire que pour des livres d’enfants. Il a fait aussi des dessins érotiques un peu fous, il se permet beaucoup de choses. Je l’adore.

Juliette Keating – Tu as en partage avec Tomi Ungerer cet éventail de thèmes et de domaines, puisque tu travailles aussi bien le dessin érotique que le dessin politique, féministe, que les illustrations pour ce livre jeunesse publié aux éditions Le Ver à Soie, Une histoire vraie de A à zèbre.

Rita Renoir – Quand j’ai vu l’étendue du travail de Tomi Ungerer, je me suis dit que je pouvais moi aussi m’autoriser à traiter différents sujets, ça m’a rassurée. Parfois on hésite, mais ça fait partie de la vie de passer d’une chose à l’autre, sinon on serait dans l’obsession. On a le droit de s’intéresser à différents sujets, de les aborder, de se questionner dessus. C’est ce qui fait la richesse d’une vie, qui n’est pas composée que de livres pour enfants ou que d’érotisme. On a plein de vies différentes en soi.

Juliette Keating – Ce qui fait le lien entre ces domaines, est-ce le désir de travailler sur les femmes, la condition des femmes, le corps des femmes ?

Rita Renoir – Oui, ça m’intéresse énormément, tout simplement parce que je me sens concernée. Travailler sur les femmes est devenu un besoin prégnant ces dernières années parce que je trouve ça violent d’être une femme, en particulier quand on ne répond pas tout à fait aux normes, à ce qu’on attend d’une femme : être mariée, avec des enfants, avoir un boulot, une vie bien rangée en somme ; mais ça n’a jamais été mon cas. Il y a des jugements portés sur les femmes. Je viens d’avoir cinquante ans, ce qui n’est pas évident à vivre quand on n’a pas eu le parcours attendu, classique. Aucun moment de la vie des femmes n’est facile, j’en ai pris conscience seulement à la quarantaine, avant je ne m’autorisais pas à le penser. Je n’ai pas été élevée dans un milieu féministe, prendre conscience de cela m’a libérée, cela a aussi modifié mes relations avec ma mère et c’est plutôt joyeux.

Juliette Keating – Ton travail s’inscrit-il dans une démarche militante ?

Rita Renoir – Oui, d’une certaine manière, puisque j’ai travaillé sur des sujets féministes, j’ai dessiné pour défendre certaines idées, certaines causes. Donner des coups de mains ponctuels, prêter des dessins qui peuvent répondre à des sujets, oui. Mais je ne me pense pas en militante, je m’intéresse beaucoup au féminisme, mais je reste un électron libre, je trouve les milieux militants parfois trop fermés et j’ai besoin de me remettre en question, c’est ça qui me fait grandir.

Juliette Keating – Tu t’intéresses au motif de la chimère, qu’est-ce que les chimères représentent pour toi ?

Rita Renoir – C’est peut-être en lien avec mes interrogations sur le féminin, ce personnage un peu monstrueux. On force les femmes à cacher leurs sentiments, à être lisses, à rester dans la retenue et la beauté; lors qu’en réalité nous sommes bien plus complexes et surtout pleines d’aspérités que nous nous obligeons à cacher par peur du jugement. Le thème de la chimère m’est sans doute venu de cet état d’esprit là : composer des êtres fabuleux – mi-humains, mi-objets, plante ou animal – monstrueux dans l’intention sous-jacente, mais aussi empreints d’une certains grâce. D’une manière générale, j’aime jouer avec les métaphores.

Juliette Keating – Il y a un aspect onirique dans ton travail.

Rita Renoir – Oui, le rêve au fil du temps est devenu ma manière de voyager. J’aime aussi la poésie. J’avais envie d’écrire au sujet de la chimère, d’utiliser mes propres mots plutôt que ceux des autres. Je me suis souvent amusée à dessiner autour de poèmes que j’aimais. Un jour j’ai eu envie d’écrire et de dessiner en même temps.

Juliette Keating – Tu dessines pour les enfants, mais tu dessines aussi sur le thème de l’enfance.

Rita Renoir – J’ai voulu sortir du côté militant, de l’érotisme, du corps. Ces sujets sont passionnants mais éprouvants à cause des réactions de certains spectateurs qui projettent leur propre imaginaire sur nous. J’avais envie de retrouver une certaine innocence en traitant d’un sujet complètement différent, avec beaucoup plus de couleurs, et ça m’a fait du bien. Je n’ai pas montré tout de suite ces illustrations sur l’enfance, c’est venu avec le confinement. La période était compliquée, les gens étaient tellement angoissés que leur montrer ces dessins plus innocents était comme une petite bulle d’air.

Juliette Keating – Comment as-tu perçu la proposition d’illustrer le conte de Sylvie Boksenbaum, Une histoire vraie de A à zèbre ?

Rita Renoir – C’était une proposition inattendue, que j’ai acceptée avec bonheur. J’ai adoré que Virginie m’offre la possibilité de dessiner autour de l’enfance pour sortir des catégories où on classe mon travail habituellement.

Juliette Keating – Comment as-tu procédé ?

Rita Renoir – J’ai d’abord lu et relu le conte de Sylvie, j’ai noté les phrases qui m’accrochaient particulièrement. J’ai regardé beaucoup d’images de zèbres en me demandant comment j’allais le dessiner, comment je percevais les zèbres. Le zèbre est pour moi une métaphore qui parle d’un enfant un peu différent, c’est ce qui m’a intéressée. J’ai tout de suite eu le désir de dessiner des enfants-zèbres, qui permettraient aux lecteurs de s’identifier. J’y trouvais également plus de matière à liberté et à jeu. Je me suis beaucoup amusée à suivre le texte de manière littérale parce que certaines descriptions sont très drôles. Imaginer de menus détails des costumes des deux personnages du conte, comme un casque d’aviateur ou une paire de sabots suédois pour la zébresse, était très amusant à faire. Je me suis autorisée les couleurs, ce qui n’empêche pas la précision et la concision. Et j’ai proposé à Virginie une poupée en papier zèbre à la fin du livre, qu’on peut découper et habiller, avec différents vêtements. Cette idée m’a parue évidente et très cohérente avec le texte. Et par ailleurs, quand j’étais môme, j’adorais faire des découpages et du collage. C’est une activité que je pratique toujours dès que j’en ai le temps.

Juliette Keating – Te sens-tu impliquée dans la démarche écologique liée à ton travail d’illustratrice ?

Rita Renoir - Dans cette période où les ressources deviennent limitées, à nous d’imaginer de nouveaux moyens de créer, en jetant moins, en nous écartant de la production de masse qui envoie beaucoup de livres au pilon. Économiser le papier en le réutilisant, réfléchir à la meilleure manière de produire, c’est une belle façon de réinventer le livre. C’est une forme d’ingéniosité que je retrouve beaucoup dans le travail d’édition du Ver à Soie.

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