Juliette Keating - Qu’est-ce qui t’a amenée à l’écriture ?

Jennifer Lavallé - J’écris depuis très longtemps : à onze ans j’avais écrit un roman. Je crois que ce qui m’a vraiment conduit à l’écriture, c’est la lecture du Journal d’Anne Frank. Je l’ai lu assez tôt et ça a été un bouleversement. Anne Frank était une copine, je l’adorais, je lui écrivais des lettres que je signais Kitty, j’étais désespérée de ce qui lui était arrivé. Mais, en y réfléchissant, j’avais commencé un peu avant. J’avais un oncle qui est mort jeune, juste avant ma naissance, dans un accident de voiture. Chez mes grands-parents, je n’avais pas le droit d’entrer dans sa chambre mais j’y allais. Il y avait beaucoup de livres et un cahier de poèmes qu’il avait écrits, des poèmes d’amour dont certains sont très beaux.

Juliette Keating - C’est par la lecture, donc, que t’est venue l’envie d’écrire ?

Jennifer Lavallé - C’est par la découverte de cette possibilité, à travers les textes, de nouer un lien avec des personnes qui ne sont plus là, mais qui ont beaucoup d’importance dans la vie des autres. Je me suis rendu compte qu’on peut, par les livres, connaître bien plus que le réel perceptible autour de nous. C’est la découverte du vertige, cette possibilité de rencontrer une multitude de personnes à travers les siècles par leurs textes. En ce qui concerne mon oncle, la matérialité de l’écriture et ses poèmes le rendaient vivant, pas sa photographie en noir et blanc. Quand j’ai lu Anne Frank, c’était pareil. Très jeune, j’ai été une grande dévoreuse de livres.

 

Juliette Keating - Aux éditions Le Ver à Soie, tu as publié deux poèmes. Quelle est l’origine de leur écriture ?

Jennifer Lavallé - Le premier s’intitule d’ailleurs « Le ver à soie ». Je l’ai écrit au début de ma vingtaine, il faisait partie d’un recueil. Quand j’ai rencontré Virginie Symaniec sur le marché à Montreuil, je connaissais déjà sa maison d’édition. Elle était là, et je lui ai dit que le nom de sa maison d’édition m’amusait parce que j’avais écrit un poème qui portait le même titre. Je le lui ai envoyé, Virginie Symaniec m’a répondu aussitôt : elle lançait sa collection de Poèmes à planter, et me demandait si je voulais que « Le Ver à soie » en fasse partie. J’ai trouvé cela magnifique et très cohérent avec ce poème qui commence comme un cauchemar, des fragments de membres dans l’eau, mais qui se transforme en rêve. On passe de l’angoisse à la découverte de quelque chose de magique qui va nous sortir du désarroi. Le personnage du poème découvre un ver à soie sous la neige, alors tout peut recommencer.

Juliette Keating - Est-ce un animal symbolique pour toi ?

Jennifer Lavallé - Oui, parce que la chenille va se transformer en papillon. Tout ce qui est en gestation mais qui est contenu dans un cocon, va se déployer. J’ai écrit ce poème au lendemain d’un cauchemar qui m’avait fortement marqué, je voulais sortir de ce cauchemar.

Juliette Keating - Quelle émotion as-tu ressentie quand ce poème a été publié, si longtemps après son écriture ?

Jennifer Lavallé - C’était incroyable. J’avais publié des poèmes dans des revues, mais il s’agissait de mon premier poème accueilli dans une maison d’édition, sous forme de livret. Il y a eu une superbe rencontre avec l’éditrice, et puis ce poème s’est transformé en objet magnifique. Quelqu’un m’a dit que ça avait quelque chose de très oriental. Or, je suis touchée par les écritures d’Orient ; contrairement aux philosophies occidentales où l’identité est figée, les pensées orientales acceptent l’évanescence des choses, leur transformation. La rencontre de hasard et la forme du poème à planter correspondent à mon poème. Finalement, la publication raconte la même histoire que le poème lui-même. Quant aux « Murmures des mûres », je l’ai écrit pour un paysagiste qui voulait offrir un poème à ses client.e.s, et c’est une attention que je trouve formidable. Je l’ai imaginé comme une chanson, lors d’une balade dans le sud. Nous nous promenions, des mûres couraient le long des murs, ça m’a donné envie de jouer avec les murmures des mûres. Ces deux poèmes sont musicaux, ils ont une mélodie, j’ai inventé un air qui va avec, je les ai chantés.

Juliette Keating - Le thème de la nature te semble-t-il important ?

Jennifer Lavallé - Le thème de la nature est présent dans ma poésie mais aussi dans mon autre métier puisque je suis documentaliste dans une association environnementale. J’ai grandi à la campagne, la rivière et les arbres occupent une grande place dans ma vie, mais je n’en ai pris conscience que plus tard, en me retrouvant en ville. La nature est une source d’émerveillement, on sait aussi à quel point elle est en danger. C’est un thème classique de la littérature puisque la littérature décrit ce dans quoi nous sommes partie prenante. D’ailleurs, ce mot « nature » est problématique. Il induit une distinction entre l’humanité et la nature, pourtant l’humanité fait partie de la nature. J’ai le désir de manifester ce lien par l’écriture, ce lien qui est dans la matière même du livre, le papier fait à partir du bois des arbres.

Juliette Keating - Tu abordes aussi la question des femmes, du féminisme. Dirais-tu que ton écriture est engagée ou bien s’agit-il d’une notion dépassée ?

Jennifer Lavallé - Je suis une femme, une humaine et une femme, la question du féminisme me porte. L’engagement est une notion à réhabiliter. Je ne peux pas comprendre l’injonction faite à la littérature de ne pas être engagée et aux artistes d’être apolitiques. L’homme est un animal politique, la femme aussi.

Juliette Keating - Profiter d’une balade l’été, est-ce politique selon toi ?

Jennifer Lavallé - Le bien être est une militance en soi dans un monde qui nous enjoint de travailler, d’être performants et utiles. Dans ce contexte, la promenade est un acte de liberté, comme dormir, comme lire. D’ailleurs le droit à la paresse est présent depuis toujours dans la pensée anarchiste connectée à la nature.

Juliette Keating - On comprend pourquoi tu as apprécié la collection des Poèmes à planter...

Jennifer Lavallé - Toutes les personnes à qui j’ai montré les poèmes à planter se sont émerveillées de la beauté de l’objet d’abord, mais aussi de cette idée que la littérature a vocation à s’imprimer dans notre esprit plutôt que dans un livre posé sur l’étagère. Ce qu’on lit est comme ce qu’on mange, ça devient une partie de nous, ça nous nourrit au sens premier du terme. Et puis le rituel suggéré en dernière page des Poèmes à planter, selon lequel il faut apprendre le poème puis le réciter en arrosant ses plantations, c’est un véritable soin spirituel.

Propos recueillis par Juliette keating

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