Juliette Keating - Tu as illustré aux éditions Le Ver à Soie, le recueil Chatouneries, composé de poèmes écrits par Jacqueline Dérens. Comment en es-tu venue à l’aquarelle ?
Nathalie Babolat - J’ai découvert la peinture à l’âge de dix ans, par des cours de peinture à l’huile alors que, dans ma famille, personne n’avait jamais dessiné. J’ai une cousine que j’ai beaucoup remerciée, parce que, étant institutrice en maternelle, chez elle c’était pour moi la caverne d’Ali Baba : des crayons partout, des feutres, des feuilles. C’était une fête d’y aller en vacances. Puis, il y a eu une longue période, jusqu’à la trentaine, où je ne dessinais qu’occasionnellement. J’ai fait mes études à Lille, j’ai travaillé dans les ressources humaines, j’ai eu mes deux fils et j’ai ressenti le besoin de reprendre vraiment le dessin et la peinture. Les cours de dessin académique ne m’ont pas emballés. J’ai pratiqué le pastel et l’acrylique jusqu’au jour où j’ai pu faire un stage avec une aquarelliste que j’adore, Paty Becker. J’aime sa façon de garder le flou de l’aquarelle mais avec des couleurs pétantes. Pendant une semaine, en Grèce, j’ai fait un stage de carnet de voyage : des croquis rapides, sur le vif, qui m’ont beaucoup plu. À cette époque, j’étais encore salariée, je considérais l’aquarelle comme un passe-temps.
Juliette Keating - Quel chemin as-tu suivi pour devenir artiste professionnelle ?
Nathalie Babolat - J’ai eu envie d’essayer de vendre mon travail sur le marché de Noël de mon village, dans le sud de Bordeaux. J’ai peint l’église, certains lieux emblématiques, j’avais numérisé mes originaux pour faire imprimer des cartes postales. J’ai commandé 70 cartes postales, j’en ai vendu 60 sur une seule journée. J’avais été licenciée depuis quelques mois et je réfléchissais à ma reconversion. Sans doute parce que j’aimais beaucoup le camion de glaces quand j’étais petite, je rêvais d’avoir un camion-épicerie, pour aller vendre des produits alimentaires sympas aux gens des campagnes qui sont isolés. Et pourquoi pas un camion où je vendrais mes aquarelles, de village en village ? C’est ainsi que m’est venue l’idée de me lancer artiste-autrice professionnelle en ayant à cœur de rendre l’art accessible au plus grand nombre grâce à des reproductions. C’est ainsi que je me suis lancée, à l’été 2020, dans la vente sur les marchés du Bassin d’Arcachon et dans les Landes de mes œuvres originales et des produits dérivés. De plus, ces affiches, cartes postales, etc. sont imprimées par l’imprimeur de mon village. En 2022, j’ai commencé à exposer, et j’ai rejoint un collectif d’artistes pour développer ma visibilité.
Juliette Keating - Dans quelles circonstances as-tu commencé à travailler pour les éditions Le Ver à Soie ?
Nathalie Babolat - J’ai connu Virginie Symaniec sur les marchés landais, lors de sa tournée de l’été 2022. Nous avons sympathisé. Un an plus tard, à la fin de la saison 2023, Virginie me parle du travail de l’autrice Jacqueline Dérens, particulièrement des poèmes sur ses chats et me propose de les illustrer. J’étais très étonnée par cette proposition et j’ai eu peur de n’en être pas capable, je travaillais surtout le paysage, l’océan, les arbres, les bords de rivières. Je lui ai suggéré des aquarellistes animaliers. Mais Virginie m’a rassurée en me disant de prendre mon temps, de lire les poèmes, et d’y réfléchir. Je me suis isolée une semaine et j’ai commencé à dessiner. J’aime les chats aussi, et je regardais mon chat d’une toute autre façon, j’observais ses positions. Jacqueline Dérens était enchantée de ces premiers dessins, j’ai continué. Contrairement aux autres commandes qui se caractérisent par de nombreuses contraintes, Virginie Symaniec m’a laissé toute liberté, elle ne m’a rien imposé sinon le format. Ça m’a permis de libérer mon trait. J’ai été aussi rassurée d’illustrer des poèmes, qui sont de courts textes distincts. J’ai vu apparaître les têtes des chats, finalement, je me suis sentie à l’aise dans ce travail. J’ai fait un chemin de fer avec ce que j’imaginais des onze chats de Jacqueline Dérens, puis les aquarelles originales qui ont été numérisées.
Juliette Keating - Savais-tu que le livre prendrait la forme d’un leporello, c’est-à-dire d’un livre accordéon ?
Nathalie Babolat - Non, je l’ignorais totalement. J’ai découvert les Chatouneries au lac d’Azur, lors du salon du livre qui a eu lieu mi-juin. Quand l’éditrice m’a montré le leporello, c’est comme si j’avais eu un troisième enfant ! C’est une merveille. Ce livre est mon premier pas dans le monde de l’illustration que je croyais inaccessible parce qu’il y a tellement d’illustrateurs et d’illustratrices. De plus, les tablettes graphiques prennent le pas sur le dessin. Quelqu’un m’a dit que les aquarelles étaient has been, qu’il fallait que je fasse autre chose ! On entend ce genre de réflexions quand on est une femme artiste, il faut avoir la foi ! Mais une maison d’édition indépendante, comme Le Ver à Soie, est ouverte à cela, elle a le public pour ce livre. Je remercie vraiment Virginie Symaniec qui a cru en moi. C’est précieux de rencontrer des personnes qui ouvrent des voies, qui nous conduisent là où l’on ne pensait pas aller. J’ai travaillé ma main gauche, ce n’était pas si compliqué, j’ai pris énormément de plaisir et le résultat m’émerveille chaque jour.